15/07/2007
Le royaume et l'Empire (cinquième partie)
III) Que resterait-il de la France sans Etat souverain ?
Les Flamands n'ont pas grand-chose à perdre avec l'Europe, les Polonais peuvent espérer mieux subsister dans un vaste conglomérat que partagé entre la Prusse, la Russie et l'Autriche.
L'identité des Sardes, des Grecs, des Hongrois ou des Irlandais s'est maintenue sous la domination piémontaise, turque, autrichienne ou anglaise, pourquoi ne parviendrait-elle pas à se maintenir au sein de l'Empire européen? Et tant mieux si l'on profite un peu de la manne bruxelloise accordée aux contrées sous-développées...
La réalité ethnique est dôtée d'une force organique qui lui permet de tolérer des formes d'organisation politique les plus diverses. La "Germanie", tant est évidente la fraternité (les germains c'est-à-dire les frères) les liens de sang et de langue s'est maintenue sans Etat spécifique jusqu'en 1970. Jusqu'à ce que la France, au XIXème siècle veuille dans sa passion idéologique exporter le principe de l'Etat-Nation qui lui avait si bien réussi.
Les grandes cités peuvent même trouver quelqu'intérêt à ne dépendre que d'un Etat assez lointain pour ne pas trop les contraindre: un Milanais restera Milanais, qu'il soit rattaché à l'Italie, à la Padanie, ou à quelque Empire européen.
Italiens ou Allemands n'ont pas grand-chose à sacrifier en acceptant de voir transférer à un Etat supranational une souveraineté qui ne date au fond que de quelques dizaines d'années. Ne parlons même pas des Tchèques, des Maltais ou des Biélorusses...L'Etat Belge a été créé par un compromis entre l'Angleterre et la France, il ne trouve sa légitimité que dans l'utilité des services qu'il peut rendre à ses habitants, et n'importe quelle autre puissance publique ne sera-t-elle pas aussi légitime si elle parvient à rendre des services équivalents ?
Mais au milieu de ces Etats fonctionnels et de ces ethnies, la France apparaît comme une communauté non ethnique, un Etat-Nation paradoxal. La nation française, à l'évidence, n'est pas une ethnie; et plutôt que de parler du peuple français, ne devrait-on pas parler des peuples de France: celtes, gallo-romains, germaniques, catalans, basques, corses, arvernes, ligures ou flamands...
La France n'est même pas une langue; même si le français est le bien commun des Français. D'abord parce que ce bien commun, les Français le partagent avec bien d'autres peuples plus ou moins partiellement francophones. D'autre part, l'unification linguistique n'est qu'une réalisation tardive due en grande partie au jacobinisme de la république qui s'acharna méthodiquement contre les langues provinciales qu'elle jugeait menaçantes pour l'unité d'une nation qui avait perdu son fédérateur historique. Or ces langues provinciales, breton, occitan, flamand, basque, corse ou catalan c'est aussi le patrimoine de la France...
La France n'est pas une unité ethnolinguistique; elle ressemble par ce trait à la Suisse, fédération de peuples et de cultures. Dans ces deux cas, il s'agit d'un rassemblement politique dont la cause réside dans un fédérateur. Fédérateur externe pour la Suisse, -il s'agit d'échapper à l'emprise des Habsbourg-, fédérateur interne pour la France: l'Etat capétien.
Si le jardin de France est l'oeuvre d'art de la dynastie capétienne, il n'y a pas de raison de penser que la diversité des essences puisse nuire à ce jardin.
Cependant la France n'est pas qu'un Etat, c'est aussi une Nation; non une ethnie, mais un ensemble de peuples que des siècles d' histoire commune, un héritage plutôt heureux, ont progressivement transformé en une communauté de destin originale.
La France est le type même de l'Etat-Nation: Etat coïncidant avec une communauté humaine, communauté rassemblée et modelée par cet Etat comme un jardin longuement amendé devient différent des terres qui l'environnent.
L'illusion, d'abord celle des Français facilement portés à théoriser et à universaliser leur propre situation, puis celle de ceux qui ont voulu à toute force les imiter, a été de vouloir normaliser et exporter l'exception française: on sait les ravages provoqués par le principe des nationalités au XIXème siècle, le démantèlement de l'Empire Austro-Hongrois au début du XXème, et l'on peut douter de la pertinence d'Etats souverains comme la République Centrafricaine ou celle de Bosnie...Mais on a réussi à faire croire que la dignité des peuples ne pouvait se passer de ces fantômes de souveraineté et de ces apparences d'Etats...
Certes, il y a au composé français une base que je me garderais bien de mépriser et dont l'identité éthno-culturelle doit être, elle aussi, respectée: pour caricaturer celle des Franchouillards à béret basque et à baguette de pain sous le bras qui peuvent dire: nos ancêtres les Gaulois. Dans cet ensemble peuvent s'insérer, parfois dans la douleur, des minorités que les hasards de l'histoire ont amené sur notre sol: arméniens, juifs, habitants des Territoires d'Outre-Mer, immigrants de anciennes colonies ou d'ailleurs. L'assimilation de ces minorités dépend de nombreux facteurs dont les moindres ne sont pas la santé des communautés préexistantes qui forment la société française et l'existence d'une identité française nette qui ne saurait se maintenir en l'absence d'un Etat souverain.
Faute de vraies communautés historiques de référence, et pour nous Français de notre Etat-Nation, il y a fort à parier que dans un magma "européen", les plus démunis ne chercheront leur salut que dans les identification les plus frustes. Faute d'être Béarnais ou même Français, on se retrouvera, comme aux U.S.A.: Blacks, Beurs, Juifs, Chinois ou comme on dit là-bas Caucasiens.
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