01/07/2007
L'un rassure, l'autre menace
Le futur traité européen n'étant plus "constitutionnel", le ministre belge des affaires étrangères, Karel de Gucht, a suggéré de le baptiser "traité des notes de bas de page", tant les précisions, dérogations, déclarations et autres clauses interprétatives qui y sont annexées compliquent le tableau. Ces subtilités, qui donneront du travail aux juristes, sont la rançon d'un accord arraché de haute lutte par les négociateurs. Le succès du sommet de Bruxelles ne saurait masquer en effet les divergences croissantes qui séparent les Vingt-Sept sur l'avenir de l'Union européenne. Pour la première fois, l'image d'une Europe à la carte prend une certaine consistance.
La diplomatie internationale repose en partie, on le sait, sur les relations personnelles qui se nouent entre les dirigeants. A Bruxelles, des couples se sont formés pour mener à bien les discussions, selon la vieille tactique des interrogatoires policiers qui consiste à associer, face à un suspect, un "gentil" et un "méchant". Les deux équipiers se relaient pour venir à bout de leur interlocuteur : le "gentil" rassure, le "méchant" menace, jusqu'à ce que l'accusé s'effondre, épuisé. Au Conseil européen, l'affrontement a duré deux nuits et n'a pris fin qu'à l'aube du troisième jour, comme le veut la tradition.
Le premier couple en action a réuni Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Le tandem franco-allemand s'est trouvé au coeur de la manoeuvre, la chancelière allemande comme présidente en exercice de l'Union et le président français comme chef d'un des deux Etats qui ont dit non au projet de Constitution. Les deux dirigeants se sont partagé les rôles. Face aux Polonais, Mme Merkel a haussé le ton, se disant prête à laisser Varsovie sur la touche, avant que M. Sarkozy ne renoue patiemment les liens. L'opération était-elle concertée ? On l'ignore. Il n'empêche qu'elle a permis d'aboutir. Face aux Britanniques, c'est M. Sarkozy qui a mené l'offensive pour obtenir que la référence à la concurrence libre et non faussée disparaisse des objectifs de l'Union. Mme Merkel a calmé le jeu.
Du côté de la Pologne, les jumeaux Kaczynski s'étaient réparti les tâches. A Bruxelles, Lech, le président, se posait en conciliateur. A Varsovie, Jaroslaw, le premier ministre, se montrait intransigeant. On croyait l'accord acquis. Aussitôt venait un démenti cinglant. La Pologne persévérait dans son antigermanisme. Le premier ministre n'était-il pas allé jusqu'à déclarer, à la veille du sommet, que, sans les ravages de la guerre, la démographie de la Pologne ne serait pas aujourd'hui ce qu'elle est ? Au bout du compte, Varsovie se ralliait au compromis. A Bruxelles, le président saluait l'attitude "exceptionnellement amicale" d'Angela Merkel.
Du côté de la Grande-Bretagne, Tony Blair, à Bruxelles, et Gordon Brown, à Londres, ont également travaillé en duo. Le premier ministre sortant n'a pas vu venir l'attaque de la France contre la concurrence libre et non faussée. Son successeur désigné s'est enflammé. A défaut de rétablir la formule, les deux hommes ont obtenu l'adjonction d'un protocole. Pour le reste, les "lignes rouges" défendues en commun par M. Blair l'europhile et M. Brown l'eurosceptique ont tenu.
Un autre tandem, formé par le discret chef du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, et le caustique premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, dont les pays sont les seuls à avoir ratifié par référendum le projet de Constitution, a participé activement aux échanges. C'est M. Zapatero qui a proposé d'attribuer le titre de "haut représentant" au futur ministre des affaires étrangères, c'est M. Juncker qui a convaincu in fine les "maximalistes" de se rallier à l'accord. L'un et l'autre ont contribué, chacun à sa manière, à la levée du blocage polonais.
Thomas Ferenczi
11:09 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.