26/06/2007
"Ce que contient la Constitution européenne remaquillée
une analyse de Paul-Marie Coûteaux
Courte relation d'une supercherie
Bon connaisseur du débat institutionnel européen, M. Bourlange s'émerveillait ce 24 juin sur France Culture ("l'Esprit public ") du " traité modificatif "adopté la veille, aux petites heures bruxelloises: "Toute la Constitution est là ! Il n'y manque rien!". Un titre du Monde (24 et 25 juin) l'exprime de façon explicite: "Les symboles disparaissent, le fond reste". Nous sommes bien en face d'une Constitution-bis; comme je l'annonçais le 22 par un communiqué diffusé par l'AFP, "quelques jours après la fin du cycle électoral privant les Français de toute expression nationale avant des années, le sommet n'a d'autre but que de reprendre le texte rejeté, en le remaquillant pour éviter un nouveau référendum".
Je mets les Français en garde: nous ne devons pas nous laisser abuser par les malicieuses déclarations des partisans les plus acharnés de la supranationalité qui font mine de regretter la Constitution, ni par une presse qui, largement dupe du maquillage, parle à tue tête de victoire diplomatique de M. Sarkozy, comme si la France qui a dit Non sortait victorieuse de l'épreuve: en réalité les nonistes sont refaits, ce que montre toute étude précise dudit "compromis " et de ses cinq points-clefs:
1-Personnalité juridique accordée à l'Union: c'était le point cardinal glissé dans le texte Giscard, celui qui permettait de parler de Constitution, puisqu'il crée un nouvel Etat, qui peut désormais être reconnu comme tel sur la scène internationale; il est repris tout aussi discrètement, mais tel quel, dans le traité dit "modificatif".
2-Présidence stable de l'Union: si ce traité était ratifié, l'Union se trouverait aussitôt placée sous l'autorité d'un Président, réputé "stable" en raison d'un mandat allongé (de six mois à 2 ans et demi, et vraisemblabement porté ensuite à 5 ans comme le mandat parlementaire européen. Surtout, ce Président est désormais indépendant de tout Etat -alors qu'il était auparavant un chef de gouvernement en exercice; il sera donc doté d'une autorité propre, ainsi que d'un secrétariat, puis d'un cabinet, etc.. gageons que cet instrument supranational d'autant plus efficace qu'il sera incarné…
3- Haut Représentant pour la politique étrangère: comme l'a avoué imprudemment Nicolas Sarkozy lors de son allocution télévisée du 20 juin, c'est un "ministre des relations extérieures sans le nom" (pour ne pas choquer les Anglais); mais, à l'instar du texte Giscard, il sera vice-président de la Commission, ce qui lui donnera un grand poids auprès des autres Commissaires, et sera doté d'un "service diplomatique"-en clair d'ambassades, les quelque 120 actuels bureaux de l'Union dans les capitales étrangères étant débaptisées et étoffés, leurs agents bénéficiant, (grâce à la personnalité juridique) d'immunités et privilèges diplomatiques. A terme, lorsque ce super-ministère aura pris son allure et son poids, les ministères nationaux seront marginalisés, ce que symbolise parfaitement la délocalisation du Quai d'Orsay annoncé par M. Kouchner. Quand à la référence à l'OTAN, elle peut disparaître puisque le nouveau texte renvoie explicitement au traité de Maëstricht, dont le titre V fixait que "Les Etats veillent à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions communes " (art. J-2), et précisait que celles-ci devaient être compatibles avec "les cadres de l'OTAN ". A la politique étrangère commune, il manquait un instrument: le voici.
4-Décisions à la majorité qualifiée. Quel que soit le mode d'adoption (système de Nice ou système appliqué à partir de 2014), le nombre d'affaires qui échappent à l'unanimité, déjà important (ce sont toutes les affaires communautaires, la politique agricole, commerciale, douanière et, surtout, industrielle-dite "de concurrenc ", où la commission est pleinement compétente-s'élargit à quarante nouveaux domaines, d'ordre économique (marché intérieur, énergie, recherche, politique sociale "partagée" avec les Etats) mais aussi d'ordre régalien (coopération judiciaire en matière pénale et coopération policière, porte ouverte à une "police fédérale") en sorte que la compétence de l'Union concerne désormais presque tous les domaines de la décision et de la responsabilité politique -manquent encore la culture, l'éducation… Schéma fédéral classique, d'autant que le compromis de Luxembourg qui permet à un Etat d'invoquer ses intérêts vitaux, et dont le candidat Sarkozy avait fait grand cas au cours de sa campagne, n'apparaît plus: une décision adoptée à la majorité qualifiée s'appliquera dans tous les cas, et même un Etat qui n'y est pas favorable devra le mettre en œuvre, sous peine de sanctions.
5- Charte des droits fondamentaux. Elle s'applique désormais de droit (sauf pour la Grande-Bretagne, qui jouit d'une dérogation générale); non reprise in extenso, elle fait l'objet d'une référence, ce qui en droit revient au même -d'autant que le droit est ici interprété par la très supranationale Cour de Luxembourg. Ses dispositions justifient les critiques que nous avions développées en 2005: comment admettre par exemple le droit pour tout citoyen de saisir la Cour européenne des Droits de l'Homme aux fins de condamner un Etat pour non respect de principes très généraux? Tel celui de l'égalité, qui inspire déjà la reconnaissance de l'homoparentalité ou du mariage homosexuel, ou celui de la liberté religieuse contre un Etat appliquant une législation laïque-loi sur le voile à l'école par exemple, mais les cas sont multiples.
Il n'est bien entendu pas question d'accepter un tel traité; contrairement à ce que prétend une propagande fort bien orchestrée, les concessions aux souverainistes n'en sont pas. Certes, ne figurent plus les symboles de l'Union, drapeau, hymne et devise; mais ils ont déjà été adoptés en Conseil et continueront à sévir sans qu'il ait été besoin de les rappeler. Il en va ainsi de l'ancien art. 6 du texte Giscard posant la supériorité de la norme européenne sur la loi nationale. Si celle-ci ne figure plus dans le traité, il y est cependant renvoyé explicitement dans une déclaration additionnelle, qui elle-même rappelle la jurisprudence de la Cour de Justice européenne, ce qui revient au même. D'ores et déjà, outre les juges de Luxembourg, toutes les juridictions françaises adoptent depuis des lunes les normes européennes, écartant lois nationales, principes et dispositions constitutionnelles chaque fois qu'ils entrent en contradiction avec la loi européenne. De même, c'est une escroquerie intellectuelle de prétendre, comme le fait M. Sarkozy, que le principe de "concurrence libre et non faussée" a disparu du traité, puisque celui-ci renvoie à un protocole additionnel qui le proclame, et le présente même comme un "instrument politique majeur "au service des objectifs du nouveau traité-la gauche semble n'y voir que du feu.
Habiletés qui sont autant d'escroqueries morales, la pire étant de nommer traité simplifié un texte qui crée juridiquement un Etat et lui attribue de nombreuses compétences: il s'agit bien d'une Constitution, moins ronflante que le texte Giscard, mais d'autant plus habile.
Il y a deux ans, les supranationaux étaient décontenancés par le double Non français et hollandais; nous savions qu'ils chercheraient une parade. Elle fut simple et terrible: le problème essentiel venant de la France, c'est elle et ses Français qu'il fallait circonvenir; pour les oligarchies européennes, il aura suffi d'attendre l'élection présidentielle et de trouver un homme assez rusé pour s'imposer (avec leur aide, abondamment fournie par le système médiatique) et capable, une fois doté d'une fraîche légitimité d'annihiler en leur nom le Non des Français: la supercherie a parfaitement fonctionné. Restait à faire quelques concessions aux récalcitrants: un plus long délai pour la consultation des parlements nationaux, à la demande des Pays-Bas (et de partis danois); la prolongation pendant dix ans d'un système de pondération des voix qui avantage beaucoup une Pologne qui, elle, s'est bien battue-essuyant des quolibets innombrables: on moqua une phrase de son Président rappelant que, sans l'agression allemande de 1939, la Pologne aurait aujourd'hui quelque vingt millions d'habitants supplémentaires: un pays qui en détruit un autre peut-il, soixante ans plus tard, arguer de sa faiblesse pour le faire taire? Il est vrai que l'habitude est désormais prise de tourner en dérision tout pays qui prétendra s'affirmer...
Il y a quelque chose d'insupportable dans l'actuelle fanfaronnade de M. Sarkozy assurant que "en un mois et demi, il s'est passé plus de choses qu'en deux ans", ce qui est vrai : il s'est passé ceci que la France a été trahie par un ensorceleur qu'elle a pour son malheur placé à sa tête et qui peut désormais parler en son nom. Ceux qui, en votant pour M. Sarkozy ont permis cette supercherie portent une lourde responsabilité devant notre histoire.
J'appelle solennellement tous les Français qui ont dit Non à déjouer les propagandes -d'abord pour eux-mêmes; je les appelle à étudier de près les informations qui filtreront de la prochaine Conférence intergouvernementale et le texte définitif signé à la fin de cette année ; je les appelle à se mobiliser pour exiger que sa ratification soit soumise à référendum; je les appelle à exiger pour la France un statut à tout le moins comparable à celui de la Grande-Bretagne, et des protections pour les droits, les principes et les intérêts de la France et des Français -et d'abord le respect de la démocratie, c'est à dire de la souveraineté populaire, dont on ne voit que trop qu'elle disparaît avec la souveraineté nationale; je les appelle à agir sur les partis ou les solidarités diverses qui peuvent permettre de faire barrage à cette ignominie lors du Congrès qui devra modifier une nouvelle fois notre Constitution; je les appelle à manifester désormais les troisièmes vendredis de chaque mois, à compter du 19 octobre, quelles que soient leurs opinions ou leurs inclinations, pourvu qu'ils soient attachés à la survie de la France comme Nation libre parmi les Nations du monde.
00:10 Publié dans Amis | Lien permanent | Commentaires (0)
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