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09/10/2008

La crise vue par un syndicaliste américain

Le Monde


Pourquoi Pat Sweeney, le syndicaliste "protectionniste" du Michigan, va voter Obama

Orion (Michigan), envoyé spécial
Cette élection est "historique" pour lui, mais pas pour les motifs habituellement avancés. Pas parce qu'une femme – Hillary Clinton, pour qui il a voté lors des élections primaires démocrates – aurait pu devenir présidente; ni parce que le futur président pourrait être un Noir, le démocrate Barack Obama. Non, aux yeux de Pat Sweeney, cette élection est exceptionnelle car, pour la première fois depuis des décennies, il s'agit de savoir quel candidat saura "mettre du pain et de la viande sur la table". Et pour lui, sans hésiter, c'est Barack Obama.
Pat Sweeney est président de l'union locale 5960 de l'United Auto Workers, le syndicat des travailleurs américains de l'automobile, à Orion, dans le Michigan. Un moustachu de 51ans, aux yeux pétillants et au sourire charmeur. "Pat" est un "dur", proche de sa base, empli d'une rage à peine contenue. Cela fait bientôt trente ans, dit-il, que l'ouvrier américain paye les pots cassés : de la mondialisation, de la désindustrialisation des Etats-Unis, de la dérégulation, d'un pouvoir d'achat qui n'a cessé de se dégrader. Or "qui a bâti ce pays, sinon nous?" conclut-il. Ne lui dites pas qu'en France il ne déparerait pas à la CGT. L'idée d'être assimilé à des "communistes" le révulserait.
Car Pat Sweeney est d'abord un "patriote américain". Si cette élection est "historique", c'est parce que le moment est venu de "redonner la priorité à l'ouvrier américain. Nous sommes devenus un peuple de consommateurs de produits fabriqués par d'autres. Avec le dépérissement de l'industrie, la loyauté des citoyens a foutu le camp", soupire-t-il. Pas de fioritures, des mots simples, et droit au but : "Les gens n'achètent que des produits étrangers moins chers. Quand quelqu'un place un drapeau américain sur son véhicule japonais, j'en suis malade." Entré chez GM (Général Motors) en 1977, à 20ans, licencié en 1980, il y est revenu en 1984 pour ne plus en partir. A l'époque, son usine comptait 6000 salariés. Il en reste 2650.
Il a vécu de l'intérieur le déclin du fleuron de l'industrie lourde américaine : l'automobile du Michigan. Ses responsables sont tout désignés : d'abord les pouvoirs publics américains qui, en promouvant une mondialisation sauvage, ont "tué" l'industrie nationale; puis les pays en développement, qui imposent à l'Amérique une "concurrence déloyale". Ou qui s'installent chez elle, comme les Japonais dans l'automobile, dans les Etats du Sud, là "où les gens s'en remettent à Dieu et ne s'organisent pas pour se défendre".
Il l'admet : c'est le président Bill Clinton, un démocrate, qui a signé le premier grand accord de libre-échange, l'Alena (avec le Mexique et le Canada), qui "n'a bénéficié qu'aux Mexicains". Or après l'Alena, c'est George Bush, cette fois, qui a multiplié les accords commerciaux, avec la Chine, la Colombie, d'autres encore. Honte à l'homme qui a ouvert le pays à tous les vents. A celui qui a "dérégulé massivement".
Que faire? D'abord, "un effort majeur pour remettre l'industrie au cœur de notre système économique". Comment? "En édictant des règles dures de protection contre les importations. Si l'on impose à la Chine et au Mexique le droit des salariés à s'organiser et une qualité de produits équivalente aux nôtres, à la fin, cela profitera à leurs salariés surexploités. Je suis pour une mondialisation où le travailleur du tiers-monde accède à mon niveau de vie, pas celle où mon niveau est progressivement rabaissé au sien." Pour s'en sortir, poursuit "Pat", il faut revoir les accords commerciaux signés par Washington et les rendre "équitables".
Avec moins de virulence, c'est ce que le candidat Obama disait lors des élections primaires. Depuis, on ne l'entend presque plus sur ce thème. Pat Sweeney est-il inquiet? Il pense que Barack Obama a tort, qu'il aurait intérêt à reprendre ce credo, "parce qu'ici, chez les ouvriers du Michigan, le protectionnisme est une idée qui progresse beaucoup". Il ajoute qu'Obama a eu tort, aussi, d'apparaître avec George Bush à la Maison Blanche pour soutenir un plan de sauvetage financier "qui ne profite qu'aux banquiers".
Sa véritable inquiétude est ailleurs. Les militants du syndicat n'auront "pas de problème à voter pour un Noir, mais, dit-il, chez les salariés blancs des PME et du petit commerce, j'en connais trop, à mon goût, qui s'abstiendront". Alors, même s'il aurait volontiers voté pour un Ron Paul (ex-candidat républicain, libertarien et isolationniste), même s'il aurait préféré un autre démocrate, même si "un Noir progressiste, dans le coin, ça rend la victoire plus difficile", il votera Obama. Le "ticket" républicain McCain-Palin, ce serait "la catastrophe pour les travailleurs", conclut-il.


Sylvain Cypel

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07/10/2008

Il n'y a pas de bien commun européen

Europe désunie à l’Elysée  4 oct.

En désaccord, la France et l’Allemagne se retrouvent samedi lors du sommet du «G4».


ANTOINE GUIRAL et JEAN QUATREMER (à Bruxelles, UE) (Libération)



L’Europe, l’Amérique, le monde. Pour «refonder le capitalisme» - son grand dessein annoncé à Toulon la semaine dernière -, Nicolas Sarkozy a arrêté son agenda politique. Première étape ce samedi après-midi à l’Elysée, le Président va tenter de démontrer que l’Union avance unie et est à l’avant-garde pour «changer le système».

Aux vues des crocs-en-jambe et divisions affichés ces derniers jours, c’est loin d’être gagné. Mais Sarkozy est persuadé qu’il y a un vrai coup à jouer pour les Européens s’ils parviennent à afficher un front commun. Le timing et le contexte politique sont favorables : les Etats-Unis sont en pleine campagne électorale et seront durablement affaiblis (économiquement et politiquement) par cette crise dont ils sont à l’origine. Le chef de l’Etat veut donc occuper l’espace et affirmer le poids politique de l’Europe, comme il estime l’avoir fait à travers la crise géorgienne. S’il parvient à persuader ses 26 partenaires européens, lors du sommet de Bruxelles des 15 et 16 octobre, d’arrêter des propositions communes sur la crise financière et la manière de mieux réguler le capitalisme, il se fera fort de les incarner lors du G8 (qu’il a appelé de ses vœux) qui pourrait être consacré, fin novembre, aux désordres de l’économie planétaire. Et, espère-t-il, de forcer la main à la nouvelle administration américaine. Dans l’agenda sarkozyste, la fin de cette séquence est heureuse : le G8 consacré à la crise se transforme en sorte de Bretton Woods du nouveau capitalisme et consacre au plan international les propositions (régulation, moralisation…) portées par la France, via l’UE.

«Panique». Mais, on n’en est vraiment pas là. L’épisode du «fonds de secours européen» doté de 300 milliards d’euros, qui «s’est évaporé avant même d’avoir été proposé», selon l’expression d’un diplomate européen, a montré que Berlin et Paris n’étaient pas sur la même longueur d’onde : «Il faut faire attention aux effets d’annonce que l’on ne peut pas honorer car cela ajoutera la panique à la panique.» D’où la sortie préventive de Berlin qui a voulu tuer dans l’œuf toute idée d’un plan Paulson à la sauce européenne. Outre-Rhin, on se méfie comme de la peste de tout ce qui pourrait contraindre un jour les Allemands à payer pour les banques des autres. «Si vous mettez au centre d’une pièce un sac d’or, tout le monde va trouver une raison pour piocher dedans», ironise un diplomate. De même, on ne voit pas très bien en Allemagne qu’elle serait la valeur ajoutée d’une action européenne. «Chaque pays a ses particularités, il est difficile d’agir au niveau européen : la France ne connaît rien aux banques allemandes comme nous ne connaissons rien aux spécificités de Fortis et de Dexia, explique un diplomate allemand. Il vaut mieux que chacun adapte sa réaction au cas par cas en fonction des réalités de terrain.» En revanche, «informer, coordonner, cela est nécessaire. Mais pas plus».

Intégration. Une analyse partagée par Londres et le président de l’Eurogroupe, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. «Si on arrive à sortir de la réunion de samedi avec un message d’unité face à la crise, ce sera parfait», dit-on au grand-duché. «Il faut que nous envoyions un signal de confiance pour les marchés et les citoyens puisque cette crise est avant tout une crise de confiance.»

L’Elysée, qui estime aussi qu’il faut «rassurer, conjurer la panique», aimerait que le «G4» (les quatre pays européens du G8) aille plus loin et affirme son soutien inconditionnel à toutes les banques européennes, ce qui fait tiquer au Luxembourg et en Allemagne, car on ne veut pas que les établissements soient exonérés par avance de leurs fautes. Le «cas par cas» doit être du «cas par cas». Paris estime que l’on ne peut pas se permettre un «Lehman Brother» européen (du nom de la banque américaine que l’administration Bush a refusé de sauver de la faillite), car cela risquerait de déclencher une réaction en chaîne.

Bref, le message d’unité ne s’annonce pas simple à rédiger. Comme l’a fait remarquer, jeudi, le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, les «structures politiques de l’Europe» ne lui permettent pas d’envisager un plan Paulson. Car l’UE n’est pas une fédération : elle a certes une monnaie unique, mais un budget qui ne dépasse pas 1,2 % du PIB communautaire. Avant de songer à «refonder le capitalisme», il faudrait d’abord relancer l’intégration communautaire, bloquée pour cause de «non» irlandais et que l’Union montre qu’elle est capable de se doter d’une vraie réglementation des marchés financiers, ce qu’elle n’a pu faire jusqu’à présent.

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04/10/2008

Vendetta sanglante à Varces


C'est une première en France : un détenu a été abattu dans la cour d'une prison par un sniper. Enième épisode d'une guerre des gangs qui a déjà fait neuf morts en 2007
Le chemin du Buis, qui longe la maison d'arrêt de Varces (Isère), au pied d'une colline, est bien connu des familles. C'est de là que, le dimanche, les proches des détenus jettent toutes sortes d'objets, parfois cachés dans des balles de tennis, par-dessus le mur gris de l'établissement pénitentiaire.
Ce dimanche 28 septembre, dans l'après-midi, une patrouille de la gendarmerie de Vif y effectue une ronde de routine quand elle aperçoit, à peine dissimulée sur un côté du chemin, une moto de type Yamaha 1000, immatriculée à Paris. Intrigués, les gendarmes vérifient leurs fichiers. Le deux-roues a été volé, il est faussement immatriculé. Les gendarmes se postent donc des deux côtés du chemin pour interpeller son chauffeur. Il est 16 h 45 lorsqu'ils entendent cinq détonations. Pour la première fois, en France, un détenu vient d'être abattu dans la cour d'une prison.
Un quart d'heure plus tard, Marcel Egea, 58 ans, redescend de la colline. Il porte un pantalon kaki, un tee-shirt blanc élimé couvert de mots - "solidarité ", " justice ", " sport " et... un fusil de chasse Remington 243 avec lunette de visée encore tout chaud.
Les règlements de comptes entre caïds de Grenoble ont repris. Macabre décompte entre deux clans : en dix-neuf mois, dix morts, cinq d'un côté, cinq de l'autre, dix blessés graves. Et de quelle manière ! Abattus en pleine rue, tués d'une balle dans la nuque, attirés dans des guets-apens...
" Ils éliminent des gens comme on casse des allumettes, ils ne reculent devant rien ", soupire le procureur de Lyon, Xavier Richaud. " Cette fois, avec un sniper, on a encore franchi un cap ", s'alarme un magistrat.
Dans la cartographie du grand banditisme, les méthodes des Marseillais n'ont rien de tendre. Les Corses ont leur réputation. Mais " ici, c'est pire que la Corse ", lâche Ronald Gallo, l'avocat de Sghaïr Lamiri, la dernière victime. Les Grenoblois font peur.

"La police est presque contente qu'ils se dégomment entre eux, ça leur fait moins de boulot ! ", s'emporte Michel Destot, le maire (PS) de Grenoble, qui redoute une mauvaise publicité pour sa ville. La police judiciaire est pourtant sur les dents. L'antenne de Grenoble, dirigée par Thibaut Fontaine, a mobilisé tous ses enquêteurs, aidée par la section de recherche de la gendarmerie de Grenoble. Cela fait belle lurette que les caïds ont été identifiés. Mais ils laissent peu de traces. Se méfient des téléphones portables. La police peine à infiltrer ces clans soudés sur des territoires habitués, de temps à autre, à des retournements d'alliances spectaculaires.

Des gangs qui, selon le procureur de Lyon, font preuve d'un " étonnant mélange d'organisation et d'improvisation ". " Quand ils montent une expédition, ces mecs sont complètement poudrés (drogués) ", assure un policier.

Rien de commun avec le vieux milieu grenoblois. Ancien procureur de Grenoble, Xavier Richaud a été rattrapé par le passé. " Lorsque je suis arrivé, en 1996, dit-il, il y avait encore des règlements de comptes, mais on sentait que c'était la fin. A l'époque, les malfrats mettaient en coupe réglée la ville avec les filles, le racket et l'extorsion, donc tout événement public leur portait préjudice. Autre génération, autre culture. Ceux d'aujourd'hui sont multicartes, ils ont commencé par des vols et du "car-jacking". " Le développement du trafic de drogue, de cannabis et surtout de cocaïne a modifié la donne. Les sommes en jeu ont explosé. On ne parle plus de dettes à 500 euros, mais à 50 000 euros.

Quinze jours avant la dernière tuerie, l'ensemble des dossiers avaient été discrètement transférés à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lyon, chargée des affaires complexes, 70 tomes. A charge pour les juges d'instruction Nicolas Chareyre et Agnès Vadrot de tout reprendre de zéro, affaire après affaire. Avec, en plus, la dernière.

Mardi 30 septembre, Marcel Egea a été mis en examen pour " tentative de meurtre avec récidive en bande organisée " et " association de malfaiteurs ". Une place - et pour cause - vient de se libérer à Varces, mais par mesure de sécurité il est écroué dans un autre département. " La justice est bonne fille ", lui a lancé Jean-Daniel Piffaut, le juge des libertés et de la détention. Sec, un peu voûté, Marcel Egea, une épaisse chevelure grisonnante peignée en arrière, n'a pas bronché. Il s'est tourné vers son avocate commise d'office, et le plus courtoisement du monde l'a quittée sur ces mots : " Passez une bonne soirée, Maître. "

Comme tous ceux impliqués depuis plus d'un an dans les règlements de comptes sanglants, il a nié. Comme eux, il ne s'est servi d'aucun téléphone. Les perquisitions à son domicile ont pourtant permis de trouver un trépied pour fusil, des munitions identiques à celles qui ont tué et un vêtement qui a servi à faire une cagoule. D'après l'enquête de voisinage autour de la prison, une moto comme la sienne avait déjà été aperçue. En repérage, probablement.

Marcel Egea réside à Fontaine, une commune de la banlieue ouest de Grenoble, le fief d'une bonne partie des caïds. C'est de là que tout est parti. Mais son profil ne colle pas avec le reste du gang. Condamné en 1978 à vingt ans de réclusion pour une série de hold-up et pour avoir tiré sur les clients d'un commerce, il avait déjà à son actif, à 38 ans, un long palmarès de truand. Un de ses complices de cavale, Maurice Arcangioli, impliqué dans des affaires de machines à sous, a été tué en 2000 dans une guerre de gangs nîmois. Mais, depuis 1997, Marcel Egea n'avait plus fait parler de lui. Jusqu'à ce 28 septembre où il a tué d'une balle Sghaïr Lamiri, 29 ans, et l'a posément achevé de quatre autres. Alors, tout le monde a pensé à un contrat.

Il faut remonter à 2003 pour comprendre cet affrontement sauvage entre clans. Né d'une dispute pour le contrôle du marché de la drogue, il s'est mué en une vendetta terrifiante. " C'est la haine ", affirme Michel Neyret, directeur adjoint à la direction interrégionale de la police judiciaire, à Lyon. La haine qui a décimé plusieurs familles, cousins, amis, frère après frère, entre le clan Lamiri-Morival et le clan Hairane-M'Sallaoui.

Ce 13 janvier 2003, donc, Lassad Lamiri, 27 ans - le frère de Sghaïr -, est abattu devant la porte de son domicile à Fontaine. Il aurait voulu récupérer le marché des stupéfiants que contrôlait Miloud Hairane, alors en prison. Mal lui en prit. La série de meurtres va commencer quatre ans plus tard, avec l'acquittement au bénéfice du doute, le 27 janvier 2007, des quatre hommes soupçonnés de son assassinat, dont les frères M'Sallaoui. Leur avocat grenoblois, Bernard Ripert (ancien conseil d'Action directe), est parvenu à malmener le seul témoin, un gérant de snack.

A partir de leur remise en liberté, les tueries se succèdent, au rythme d'une par mois, voire par semaine. De riposte en riposte, les principales figures des gangs, les Morival, les M'Sallaoui, Miloud Hairane lui-même, tombent sous les balles. Le plus jeune a 22 ans, le plus âgé 38. " Toute l'année 2007, ils n'ont fait que ça, se tuer ", résume un policier.

Cette année avait marqué un court répit, qui vient brutalement de s'achever. Incarcéré en janvier pour des braquages qui remontent à 2001, Sghaïr Lamiri était cité à comparaître comme témoin dans le procès en appel du meurtre de son frère, prévu dans un premier temps le 6 octobre à Valence, dans la Drôme. Mais personne ne s'attendait à ce qu'il se mette aux confidences, et le procès avait déjà été reporté à janvier 2009. Me Ronald Gallo jure que son client ne se sentait pas menacé. " Je l'ai vu il y a dix jours, affirme-t-il. Il était jovial, content de me voir, pas du tout inquiet. "

Dans le quartier de Villeneuve, autre fief d'un clan à Grenoble, il y a désormais " un silence ". " C'est comme ça ", dit S.., qui y réside depuis dix-neuf ans, en faisant de la main le signe des montagnes russes. Une angoisse diffuse s'était répandue depuis que les Morival étaient revenus dans leur quartier d'origine, auprès de leurs parents, là où ils pensaient être à l'abri. Puis il y a eu cette terrible soirée de Halloween, le 31 octobre 2007, quand une fusillade a éclaté place des Géants, au pied des immeubles, en présence d'enfants, tuant net deux Morival. Heureusement, la crèche était fermée. La famille vit toujours ici, mais les enfants ont changé de collège. Depuis le drame, S. l'a constaté, les rassemblements de jeunes sont plus éparpillés. Personne n'a oublié. " On subit l'image ", dit S.
Un appel avait alors été lancé par les habitants, un texte Halte à la violence placardé sur tous les murs. La municipalité a engagé un programme de rénovation urbaine. " On n'a pas déserté, les services publics et municipaux sont toujours là, mais évidemment, le soir, tout ferme ", explique Hélène Vincent, adjointe (PS) à la jeunesse du maire de Grenoble.

Elle-même vit dans la cité des Arlequins, mitoyenne de celle des Géants. On passe de l'une à l'autre en traversant des places piétonnes, entre un beau parc et des barres d'immeubles hideuses. Quelque 4 000 logements, 12 000 habitants, 35 % de moins 25 ans, 20 % de chômage chez les jeunes. Et si, avec la mort de Sghaïr Lamiri, les expéditions punitives recommençaient ?

"Il y a encore des joueurs ", observe un magistrat. Trois hommes encore détenus, Ahmed Belabbes, Hamdi Khadraoui, Lamri Hanachi, vivent désormais dans la peur. Comme le fameux gérant de snack, témoin dans l'affaire du meurtre de 2003. Depuis qu'en 2007 son identité a été révélée, il a tout perdu : sa famille, ses revenus. Il vit caché. Il n'est pas le seul.

Isabelle Mandraud

© Le Monde - 5 octobre

22:40 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (9)