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04/10/2008

Vendetta sanglante à Varces


C'est une première en France : un détenu a été abattu dans la cour d'une prison par un sniper. Enième épisode d'une guerre des gangs qui a déjà fait neuf morts en 2007
Le chemin du Buis, qui longe la maison d'arrêt de Varces (Isère), au pied d'une colline, est bien connu des familles. C'est de là que, le dimanche, les proches des détenus jettent toutes sortes d'objets, parfois cachés dans des balles de tennis, par-dessus le mur gris de l'établissement pénitentiaire.
Ce dimanche 28 septembre, dans l'après-midi, une patrouille de la gendarmerie de Vif y effectue une ronde de routine quand elle aperçoit, à peine dissimulée sur un côté du chemin, une moto de type Yamaha 1000, immatriculée à Paris. Intrigués, les gendarmes vérifient leurs fichiers. Le deux-roues a été volé, il est faussement immatriculé. Les gendarmes se postent donc des deux côtés du chemin pour interpeller son chauffeur. Il est 16 h 45 lorsqu'ils entendent cinq détonations. Pour la première fois, en France, un détenu vient d'être abattu dans la cour d'une prison.
Un quart d'heure plus tard, Marcel Egea, 58 ans, redescend de la colline. Il porte un pantalon kaki, un tee-shirt blanc élimé couvert de mots - "solidarité ", " justice ", " sport " et... un fusil de chasse Remington 243 avec lunette de visée encore tout chaud.
Les règlements de comptes entre caïds de Grenoble ont repris. Macabre décompte entre deux clans : en dix-neuf mois, dix morts, cinq d'un côté, cinq de l'autre, dix blessés graves. Et de quelle manière ! Abattus en pleine rue, tués d'une balle dans la nuque, attirés dans des guets-apens...
" Ils éliminent des gens comme on casse des allumettes, ils ne reculent devant rien ", soupire le procureur de Lyon, Xavier Richaud. " Cette fois, avec un sniper, on a encore franchi un cap ", s'alarme un magistrat.
Dans la cartographie du grand banditisme, les méthodes des Marseillais n'ont rien de tendre. Les Corses ont leur réputation. Mais " ici, c'est pire que la Corse ", lâche Ronald Gallo, l'avocat de Sghaïr Lamiri, la dernière victime. Les Grenoblois font peur.

"La police est presque contente qu'ils se dégomment entre eux, ça leur fait moins de boulot ! ", s'emporte Michel Destot, le maire (PS) de Grenoble, qui redoute une mauvaise publicité pour sa ville. La police judiciaire est pourtant sur les dents. L'antenne de Grenoble, dirigée par Thibaut Fontaine, a mobilisé tous ses enquêteurs, aidée par la section de recherche de la gendarmerie de Grenoble. Cela fait belle lurette que les caïds ont été identifiés. Mais ils laissent peu de traces. Se méfient des téléphones portables. La police peine à infiltrer ces clans soudés sur des territoires habitués, de temps à autre, à des retournements d'alliances spectaculaires.

Des gangs qui, selon le procureur de Lyon, font preuve d'un " étonnant mélange d'organisation et d'improvisation ". " Quand ils montent une expédition, ces mecs sont complètement poudrés (drogués) ", assure un policier.

Rien de commun avec le vieux milieu grenoblois. Ancien procureur de Grenoble, Xavier Richaud a été rattrapé par le passé. " Lorsque je suis arrivé, en 1996, dit-il, il y avait encore des règlements de comptes, mais on sentait que c'était la fin. A l'époque, les malfrats mettaient en coupe réglée la ville avec les filles, le racket et l'extorsion, donc tout événement public leur portait préjudice. Autre génération, autre culture. Ceux d'aujourd'hui sont multicartes, ils ont commencé par des vols et du "car-jacking". " Le développement du trafic de drogue, de cannabis et surtout de cocaïne a modifié la donne. Les sommes en jeu ont explosé. On ne parle plus de dettes à 500 euros, mais à 50 000 euros.

Quinze jours avant la dernière tuerie, l'ensemble des dossiers avaient été discrètement transférés à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lyon, chargée des affaires complexes, 70 tomes. A charge pour les juges d'instruction Nicolas Chareyre et Agnès Vadrot de tout reprendre de zéro, affaire après affaire. Avec, en plus, la dernière.

Mardi 30 septembre, Marcel Egea a été mis en examen pour " tentative de meurtre avec récidive en bande organisée " et " association de malfaiteurs ". Une place - et pour cause - vient de se libérer à Varces, mais par mesure de sécurité il est écroué dans un autre département. " La justice est bonne fille ", lui a lancé Jean-Daniel Piffaut, le juge des libertés et de la détention. Sec, un peu voûté, Marcel Egea, une épaisse chevelure grisonnante peignée en arrière, n'a pas bronché. Il s'est tourné vers son avocate commise d'office, et le plus courtoisement du monde l'a quittée sur ces mots : " Passez une bonne soirée, Maître. "

Comme tous ceux impliqués depuis plus d'un an dans les règlements de comptes sanglants, il a nié. Comme eux, il ne s'est servi d'aucun téléphone. Les perquisitions à son domicile ont pourtant permis de trouver un trépied pour fusil, des munitions identiques à celles qui ont tué et un vêtement qui a servi à faire une cagoule. D'après l'enquête de voisinage autour de la prison, une moto comme la sienne avait déjà été aperçue. En repérage, probablement.

Marcel Egea réside à Fontaine, une commune de la banlieue ouest de Grenoble, le fief d'une bonne partie des caïds. C'est de là que tout est parti. Mais son profil ne colle pas avec le reste du gang. Condamné en 1978 à vingt ans de réclusion pour une série de hold-up et pour avoir tiré sur les clients d'un commerce, il avait déjà à son actif, à 38 ans, un long palmarès de truand. Un de ses complices de cavale, Maurice Arcangioli, impliqué dans des affaires de machines à sous, a été tué en 2000 dans une guerre de gangs nîmois. Mais, depuis 1997, Marcel Egea n'avait plus fait parler de lui. Jusqu'à ce 28 septembre où il a tué d'une balle Sghaïr Lamiri, 29 ans, et l'a posément achevé de quatre autres. Alors, tout le monde a pensé à un contrat.

Il faut remonter à 2003 pour comprendre cet affrontement sauvage entre clans. Né d'une dispute pour le contrôle du marché de la drogue, il s'est mué en une vendetta terrifiante. " C'est la haine ", affirme Michel Neyret, directeur adjoint à la direction interrégionale de la police judiciaire, à Lyon. La haine qui a décimé plusieurs familles, cousins, amis, frère après frère, entre le clan Lamiri-Morival et le clan Hairane-M'Sallaoui.

Ce 13 janvier 2003, donc, Lassad Lamiri, 27 ans - le frère de Sghaïr -, est abattu devant la porte de son domicile à Fontaine. Il aurait voulu récupérer le marché des stupéfiants que contrôlait Miloud Hairane, alors en prison. Mal lui en prit. La série de meurtres va commencer quatre ans plus tard, avec l'acquittement au bénéfice du doute, le 27 janvier 2007, des quatre hommes soupçonnés de son assassinat, dont les frères M'Sallaoui. Leur avocat grenoblois, Bernard Ripert (ancien conseil d'Action directe), est parvenu à malmener le seul témoin, un gérant de snack.

A partir de leur remise en liberté, les tueries se succèdent, au rythme d'une par mois, voire par semaine. De riposte en riposte, les principales figures des gangs, les Morival, les M'Sallaoui, Miloud Hairane lui-même, tombent sous les balles. Le plus jeune a 22 ans, le plus âgé 38. " Toute l'année 2007, ils n'ont fait que ça, se tuer ", résume un policier.

Cette année avait marqué un court répit, qui vient brutalement de s'achever. Incarcéré en janvier pour des braquages qui remontent à 2001, Sghaïr Lamiri était cité à comparaître comme témoin dans le procès en appel du meurtre de son frère, prévu dans un premier temps le 6 octobre à Valence, dans la Drôme. Mais personne ne s'attendait à ce qu'il se mette aux confidences, et le procès avait déjà été reporté à janvier 2009. Me Ronald Gallo jure que son client ne se sentait pas menacé. " Je l'ai vu il y a dix jours, affirme-t-il. Il était jovial, content de me voir, pas du tout inquiet. "

Dans le quartier de Villeneuve, autre fief d'un clan à Grenoble, il y a désormais " un silence ". " C'est comme ça ", dit S.., qui y réside depuis dix-neuf ans, en faisant de la main le signe des montagnes russes. Une angoisse diffuse s'était répandue depuis que les Morival étaient revenus dans leur quartier d'origine, auprès de leurs parents, là où ils pensaient être à l'abri. Puis il y a eu cette terrible soirée de Halloween, le 31 octobre 2007, quand une fusillade a éclaté place des Géants, au pied des immeubles, en présence d'enfants, tuant net deux Morival. Heureusement, la crèche était fermée. La famille vit toujours ici, mais les enfants ont changé de collège. Depuis le drame, S. l'a constaté, les rassemblements de jeunes sont plus éparpillés. Personne n'a oublié. " On subit l'image ", dit S.
Un appel avait alors été lancé par les habitants, un texte Halte à la violence placardé sur tous les murs. La municipalité a engagé un programme de rénovation urbaine. " On n'a pas déserté, les services publics et municipaux sont toujours là, mais évidemment, le soir, tout ferme ", explique Hélène Vincent, adjointe (PS) à la jeunesse du maire de Grenoble.

Elle-même vit dans la cité des Arlequins, mitoyenne de celle des Géants. On passe de l'une à l'autre en traversant des places piétonnes, entre un beau parc et des barres d'immeubles hideuses. Quelque 4 000 logements, 12 000 habitants, 35 % de moins 25 ans, 20 % de chômage chez les jeunes. Et si, avec la mort de Sghaïr Lamiri, les expéditions punitives recommençaient ?

"Il y a encore des joueurs ", observe un magistrat. Trois hommes encore détenus, Ahmed Belabbes, Hamdi Khadraoui, Lamri Hanachi, vivent désormais dans la peur. Comme le fameux gérant de snack, témoin dans l'affaire du meurtre de 2003. Depuis qu'en 2007 son identité a été révélée, il a tout perdu : sa famille, ses revenus. Il vit caché. Il n'est pas le seul.

Isabelle Mandraud

© Le Monde - 5 octobre

22:40 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (9)

Commentaires

Des crapules qui s'entretuent, cela ne peut que réjouir les honnêtes gens...

Écrit par : CCRIDER | 04/10/2008

Il est rare que les guerres de gang ne fassent aucun dommage collatéral et ne portent aucun préjudice au reste de la populaton. La transformation de Grenoble en ville du sud, n'est pas pour me plaire.

Écrit par : incisif | 05/10/2008

J'ai travaillé contre le juge Agnès Vadrot etje peux vous dire qu'elle aura toujours le fin mot . Ce n'est pas un quartier ou une ville qu'elle est capable de nettoyer mais la France entière avec sa chevelure du nord elle pourrait même faire un effort au niveau de l'Europe . Elle lit dans les pensées et voit l'avenir très clairement !!! Elle m'a fait régler des comptes comme à Grenoble !!!

signé : davy de boeuf lent (comme elle m'appelle)
david blanc

Écrit par : blanc | 02/05/2009

Oui, probablement il est donc

Écrit par : Nina_Tool | 20/09/2009

je me demande d'où vient ce mail .
la mémoire est fausse du surcontrôle .

david blanc de metz

Écrit par : devarot | 20/09/2009

Je viens d'être prévenu par un homonyme que nous sommes banis de Grenoble car moi aussi Agnes Vadrot m'a subtilisé !
De toute façon , je suis allé une seule fois à Grenoble pour une voiture .

david yvan blanc de Valence

Écrit par : blanc | 20/09/2009

Je m'aperçois de l'amnésie générale et que tout le monde oublie les vendettas perpétuelles et règlements de comptes inutiles et sans fondements .

conte vlade

Écrit par : tovabeba | 04/12/2009

j ai bien connue egea sa famille et arcangioli ans les annees 70 et cela ne colle pas avec luibraqueursoui mais snippeurs non en plus il ne frequente pas grenoble juste aller voir sa mere

Écrit par : gomis | 05/07/2010

Bon article, merci pour ce partage.

Écrit par : Mädchen spiele | 24/10/2010

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