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30/10/2007

Emmanuel Todd : « Kouchner est passé de Médecins du monde à Militaires sans frontières »

"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti" (Albert Camus)

Avec un peu de retard, un entretien digne d'intérêt.


Emmanuel Todd vient de publier, avec Youssef Courbage, un ouvrage, Le rendez-vous des civilisations (1), qui tord le cou à la thèse du choc des civilisations. Pour ces deux démographes, la montée de l'islam radical n'est que l'un des signes, nombreux, de la modernisation du monde musulman dont l'aspect démographique est d'ailleurs le plus éclatant. Les sociétés du monde musulman sont entrées dans une transition démographique qui voit progresser l'alphabétisation des hommes puis des femmes, avant que le nombre d'enfants par femme se rapproche de celui de l'occident. Tout cela évoque selon eux une montée de l'individualisme dans ces sociétés. L'analyse démographique les conduit ainsi à rejeter l'idée d'une différence de nature entre les sociétés anciennement chrétiennes et les sociétés musulmanes.
Que penser de la déclaration musclée de Bernard Kouchner sur l'Iran?

Emmnuel Todd : Son intervention ravive une interrogation personnelle qui date de la guerre d'Irak, où il s'était déjà prononcé en faveur de l'intervention américaine : quelle peut être la psychologie d'un médecin qui manifeste une préférence stable pour la guerre ? Nous passons trop vite de Médecins du monde à « Militaires sans frontières ».

Plus sérieusement Bernard Kouchner n'a fait qu'exprimer maladroitement la ligne Sarkozy, qui de fait est la ligne de Washington. Avant la présidentielle, j'avais suggéré que les Américains attendaient l'élection de Nicolas Sarkozy pour s'attaquer à l'Iran.

Le Quai d'Orsay propose une autre lecture de cette déclaration : il ne s'agirait pas, en fait, de menacer l'Iran mais de montrer à ses dirigeants actuels le coup économique de leur refus d'obtempérer aux recommandations de la communauté internationale.

On peut dire ce qu'on veut, mais le mot guerre a été prononcé, et le Quai d'Orsay apprendra d'autres nouvelles par la presse.

L'Iran inquiète davantage certains observateurs que l'Irak avant l'intervention américaine. 

La question de l'Iran se présente sous la forme d'un flot d'images et de faits difficiles à interpréter vu de France. Il y a les propos absurdes du président Ahmadinejad, les images de femmes couvertes de noir, et l'islamophobie ambiante. Tout cela masque la réalité profonde de l'Iran : une société en développement culturel rapide, dans laquelle les femmes sont plus nombreuses que les hommes à l'université, un pays dans lequel la révolution démographique a ramené le nombre d'enfants par femme à deux, comme en France ou aux Etats-unis. L'Iran est en train de donner naissance à une démocratie pluraliste. C'est un pays où, certes, tout le monde ne peut pas se présenter aux élections, mais où l'on vote régulièrement et où les basculements d'opinion et de majorité sont fréquents. Comme la France, l'Angleterre ou les Etats-unis, l'Iran a vécu une révolution qui se stabilise et où un tempérament démocratique s'épanouit. 

Tout cela est à mettre en rapport avec une matrice religieuse dans laquelle la variante chiite de l'islam valorise l'interprétation, le débat et, éventuellement, la révolte.

Pour un simple observateur occidental, l'assimilation du chiisme au protestantisme n'est pas une évidence qui tombe sous le sens.

Il serait absurde de pousser à l'extrême la comparaison. Mais il est clair que de même que le protestantisme a été, dans l'histoire européenne, un accélérateur de progrès et le catholicisme un frein, le chiisme apporte aujourd'hui une contribution positive au développement, notamment dans le domaine du contrôle des naissances : l'Azerbaïdjan, certes postcommuniste, mais également chiite, est à 1,7 de taux de fécondité, les régions alaouites de Syrie rattachées au chiisme, ont terminé leur transition démographique contrairement aux régions majoritairement sunnites. Au Liban, la communauté chiite, base sociale du Hezbollah, était en retard sur le plan éducatif et social, mais elle est en train de rattraper les autres communautés, comme on le voit dans l'évolution du taux de fécondité.

L'Iran est aussi une très grande nation qui manifeste une conscience réaliste de ses intérêts stratégiques dans une région où la majorité de ses voisins possède l'arme nucléaire : le Pakistan, l'Irak et l'Afganistan (via la présence de l'armée américaine), Isräel. Dans ce contexte, l'attitude européenne raisonnable serait d'accompagner l'Iran dans sa transition libérale et démocratique et de comprendre ses préoccupations de sécurité.

Dans votre livre, vous faites l'hypothèse tout à fait surprenante d'une possible laïcisation des sociétés musulmanes.

Dans la mesure où dans les mondes catholique, protestant, orthodoxe et bouddhiste, la baisse de la fécondité a toujours été précédée d'un affaiblissement de la pratique religieuse, on doit se demander si des pays musulmans dans lesquels le nombre d'enfants par femme est égal ou inférieur à 2 ne sont pas en train de vivre aussi, à notre insu – et peut-être même à l'insu de leurs dirigeants – un processus de laïcisation. C'est le cas de l'Iran.

Pourquoi les Américains et Sarkozy ont-ils adopté cette stratégie de confrontation avec l'Iran ?

Les services diplomatiques américains sont parfaitement au fait de la réalité iranienne, de la montée de la démocratie et de la modernisation du pays. Mais ils veulent abattre une puissance régionale qui menace leur contrôle de la zone pétrolière. C'est un pur cynisme utilisant l'incompréhension actuelle du monde musulman. Dans le cas de Sarkozy, je pencherais plus pour l'idée d'incompétence ou de sincère ignorance, qui le conduit néanmoins à amorcer une politique extérieure contraire à la morale et à l'intérêt de la France.

D'éventuelles sanctions économiques françaises contre l'Iran feraient rire les Américains qui n'ont plus d'intérêts dans ce pays, et sourire les Allemands, qui ont comme nous en ont beaucoup, mais semblent pour le moment plus réalistes.

(1) Le rendez-vous des civilisations, Emmanuel Todd et Youssef Courbage, Le Seuil, 2007
 
 Lundi 17 Septembre 2007 - 17:11

00:10 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

Tout est dit, sauf l'essenciel: L'Iran menace Israël d'un génocide nucléaire et se donne les moyens de ses ambitions.

Mais Ben Laden, nous conseille de lire Todd dans ses messages filmés... Le même Todd, qui ne se contente pas d'être opposé à la guerre en Irak, mais à l'instar de Chevènement, souhaite la victoire du Hesbollaz, sur les Américains, soit la victoire de ceux qui ambitionnent de "rayer l'entité sioniste de l'histoire"... (ce qui, au passage ne relève plus de l'opinion mais du délit...). Todd et Chevènement n'en sont déjà plus à l'esprit de Munich, mais au stade d'un Laval disant "je souhaite la victoire de l'Allemagne".

Écrit par : XP | 27/11/2007

Quant au soutien au Hezzbollah, j'aimerais savoir où vous l'avez vu dans les propos de Chevénement. Vous lui attribuez une interprétation des propos de Todd, ce qui me semble douteux comme méthode. Et vous avez coupé la phrase de Laval.
De deux maux, choisir le moindre: c'est ce qui a perdu l'église catholique qui n'a pas su écraser le protestantisme à temps. Entre deux visions messianiques sécuralisées de l'Histoire, il y a plus de points communs que de divergences. Les évangélistes et les islamistes ont choisi de se battre pour un leadership. Pas pour des querelles de dogme.

Écrit par : incisif | 27/11/2007

"Entre deux visions messianiques sécuralisées"

Que veut dire cette formule? J'ai beau chercher, je ne vois pas;
Pouvez vous me dire quels sont les points communs entre l'idéologie de Bush et l'Islam? En quoi l'idéologie de bush est-telle contraire à notre identité, quel danger porte-telle qui puisse se rapprocher des dangers de l'Islam?

C'est l'intérêt national qu'il faut défendre, pas l'idéologie souverainiste!

Écrit par : XP | 07/01/2008

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