12/07/2007
Le royaume et l'empire (deuxième partie)
Et puis le contexte a changé. Naguère, présenter l'Europe comme "l'Avenir", un "monde sans frontières" pouvait exciter l'imagination. Mais "l'Avenir" n'est plus ce qu'il était et à l'époque du cocooning et de la quête identitaire, la perte de frontières apparaît plutôt comme une menace.
A l'époque des trente pseudo-glorieuses et sur fond d'idéologie du Progrès, chacun associait "la construction européenne" à une ère de cocagne qui verrait indéfiniment s'élever les courbes du Produit National Brut, la manne bruxelloise assurerait la prospérité de la paysannerie française, et les marchands de toutes sortes devaient tirer des profits inouïs de l'exploitation d'un grand marché homogène. Mais que sont devenus les fantômes de Jean Monnet, jacques Rueff et autres Theillard de Chardin ? Vers la fin des années 70, avec les punks (no future) le club de Rome, l'écologisme, et les crises pétrolières, le mythe du Progrès s'est effondré. A présent, l'optimisme prométhéen semble avoir cessé (les politiciens et la société du spectacle continuent d'agiter les mêmes mots-fétiches, mais le charme n'agit plus et personne n'y croit). Le paysage de l'Europe aujourd'hui, c'est les friches industrielles que de lointaines délocalisations ont laissées là, des campagnes désertifiées (la paysannerie est une espèce en voie de disparition), des "quartiers difficiles" dont les brèves explosions parviennent mal à distraire des chômeurs sans espoir de retrouver ou même de trouver un jour quelque emploi.
On nous présentait l'Europe culturelle comme la synthèse de Goethe plus Shakespeare, plus Molière, plus Caldéron et Goldoni (comme si nous en étions privés auparavant), alors que ce qui se profile en guise de ciment culturel, c'est le Bronx des séries B américaines, le Hip-hop, et les hamburgers.
Il devient d'ailleurs de plus en plus difficile d'identifier géographiquement le projet européen: les critères de Maëstricht pour accéder au club de l'Euro ne sont ni géographiques, ni culturels, ni historiques, mais purement financiers. Déjà, la candidature de la Turquie laissait rêveurs ceux qui voyaient dans l'Europe une sorte de succédané de la Chrétienté...
L'existence du rideau de fer permettait de tracer une frontière qui, pour idéologique qu'elle soit, permettait de s'y retrouver. La fin de la menace communiste, qui était le principal fédérateur externe de cette Europe, brouille les cartes, surtout quand de nombreux lambeaux de l'ex-empire soviétique manifestent leur volonté d'entrer dans la "Maison Europe"...Si la Russie propose de s'associer au conglomérat quel en sera le nouveau fédérateur externe? Le péril jaune ? Certainement pas quand chacun fait sa cour commerciale au grand marché chinois. L'Islam ? Mais c'est au nom de l'Europe que l'opinion internationale a mis en place en Bosnie un Etat Islamique... L'impérialisme américain ? Mais qu'en penserait le noyau dur du fédéralisme européen, les héritiers du Général Stehlin ? (Stehlin ? Si, vous savez, le général d'aviation député M.R.P., C.D.S., ou quelque chose comme ça, qui dénonçait à l'Assemblée les vices des avions fabriqués en France et se révélait appointé par l'industrie aéronautique américaine).
La douloureuse désagrégation de l'Union Soviétique ou de la Fédération Yougoslave a montré que la formation de grands ensembles multiculturels étaient loin de constituer un gage de paix et de stabilité; et d'ailleurs un rapide examen de l'histoire montre que les guerres civiles ne sont pas moins cruelles que les guerres internationales. Le réalisme oblige à s'interroger sur les probables guerres de sécession qu'une Europe aurait à affronter, alors qu'un empire neuf comme les U.S.A. n'a su l'éviter.
Pour autant mon objectif ici n'est pas de faire la liste de tous les motifs de l'euroscepticisme; au contraire, j'ai voulu essayer de comprendre quels pourraient être les véritables fondements d'une Europe enracinée dans son histoire. Cette réflexion m'a amené à constater la position singulière de la France en contrepoint et bien souvent en opposition avec cette tradition européenne.
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Michel Michel, sociologue maître de conférence à l'Université de Grenoble II
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