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17/01/2015

Regard russe sur notre tragédie

La réalité en face : une réaction subjective aux derniers tragiques événements

(texte traduit par Mme. Dominique GERIN)

Tout d'abord  je voudrais porter mon attention sur les récentes attaques extrémistes en France. Je suis profondément attristé de la perte de vies humaines, celles des officiers de police comme celle des civils. Mais il nous faut être impartiaux dans l'analyse des causes et des conséquences. Cet événement reflète une évolution (et une dégradation) de la situation générale, et elle ne concerne pas seulement la France, mais l'Union européenne tout entière, et bien sûr les relations Russie-UE (même si les conséquences pour la politique française vont être très importantes).

I. La version actuelle des media, présentant ces attaques comme l'action d'un groupe isolé d'individus radicalisés, est totalement fallacieuse.

Nous sommes face à une organisation extrémiste institutionnelle dont les racines sont profondes, opérant et communiquant depuis plusieurs lieux géographiques, constituée en un seul réseau doté d'un agenda sur le long terme et capable de préparer des actions multiples aux effets médiatiques soigneusement calculés. C'est une organisation dotée d'un financement pérenne, d'une chaîne de commandement et d'installations d'entraînement. C'est une organisation qui dispose de combattants extrêmement motivés religieusement (avec des réserves pratiquement illimitées de nouvelles recrues de toutes origines ethniques). Cette attaque pourrait n'être que la première action (des “travaux pratiques”, en quelque sorte, pour tester la forme et la dynamique prises par les réactions occidentales) ; d'autres actions pourraient suivre, bien plus dangereuses : les attaquants lors de cet assaut n'ont pas fait usage d'explosifs (bombes artisanales à projectiles multiples ou grenades, placées sous des cadavres, pose de mines en série sur des lieux ciblés, kamikazes ceinturés d'explosifs, etc. – toutes pratiques “normales” en zones de guerre. Cette action ciblée est une punition publique extraterritoriale (pour la défense des valeurs islamiques selon la Charia), une attaque contre la diffamation du Prophète et de l'Islam ; elle pourrait être suivie d'actions terroristes massives contre des populations civiles, visant des lieux de culture ou des réseaux de transport. C'est une attaque élaborée de longue date, qui reflète le changement, l'évolution, de la stratégie du réseau extrémiste en direction des pays membres de l'UE : “Ils ont franchi le Rubicon.”

Auparavant, l'Union européenne était considérée comme un refuge sûr pour les réseaux extrémistes. C'était une zone de recrutement, de remise en forme des combattants, et de levée de financements. Le principal souci de l'UE était le contrôle de ses frontières ; c'est aujourd'hui un navire qui prend l'eau de toutes parts : coordination zéro entre les forces de sécurité intérieure des différents pays membres, trop occupés à “répliquer” à une imaginaire menace russe. L'EU érige des murs de papier contre un ennemi qui lui vient de l'intérieur. Les extrémistes d'aujourd'hui ne sont pas des hordes barbares déferlant sur l'Europe civilisée ; ils sont le produit de cette Europe civilisée elle-même. Ils sont les “enfants perdus” de la civilisation européenne telle qu'elle est.

Aujourd'hui, les extrémistes ont décidé de passer à une phase opérationnelle active, et d'essayer d'influencer l'opinion publique (comme  dans le cas de l'Espagne, qui a pris la décision, après l'attaque terroriste de la gare d'Atocha, de se retirer d'Afghanistan). Il y a un deuxième objectif : augmenter le recrutement vers les zones de “guerre” par la démonstration des effets d'actions “martyres” à fort impact médiatique (que le modus operandi des media occidentaux contribue à démultiplier). Cela contribue à asseoir le leadership “moral” dans la lutte interne pour la domination entre groupes extrémistes et leurs leaders spirituels. En troisième lieu, en raison du pronostic de tensions (conflits) entre communautés, le nombre de candidats prêts à rejoindre les extrémistes devrait aussi augmenter : davantage d'actions anti-Musulmans dans l'espace public (comme la publication de caricatures du Prophète), davantage de jeunes radicaux rejoignant les extrémistes. Malheureusement il y a peu de chances que les pays de l'UE soit capables de réagir correctement à cette nouvelle menace. Les réactions politiciennes traditionnelles ont prévalu, et vont prévaloir (comme cette discussion autour du FN, rejoignant ou non la démonstration d'unité nationale), les bureaucraties vont se vautrer dans leur inertie habituelle : les budgets sont réduits, et déjà alloués, et les media libéraux (libertaires) ne laisseront pas adopter les lois et politiques sécuritaires  adaptées contre les réseaux extrémistes. Des droits, mais sans la responsabilité.

Les mesures de sécurité défensives contre un phénomène extrémiste aussi complexe, les modes opératoires “as usual”, ne vont pas marcher. La sécurité de leurs citoyens exige des pays de l'UE une démarche offensive, intérieurement et extérieurement. L'OTAN n'est d'aucun secours dans cette situation, parce que les menaces sont par nature asymétriques ; ce n'est pas la vente de vieux véhicules blindés britanniques à l'Estonie qui peut être d'un quelconque secours en une telle occurrence. Pour répondre de façon appropriée à la menace effective d'aujourd'hui, les autorités devraient accorder toute leur attention aux sones urbaines incontrôlées (zones sensibles hors du contrôle policier ou administratif) dans toutes les villes d'importance, à commencer par Paris, et se mettre en mesure de détruire les réseaux d'approvisionnement en drogues, armes, prostitution, et toutes les variétés de trafic d'êtres humains, de blanchiment d'argent, de production et commerce de contrefaçon, d'immigration clandestine (exploitée ensuite par l'économie grise ou noire : dans les zones de guerre est établie toute une panoplie de services payants donnant la marche à suivre pour rejoindre l'UE et s'y établir). La seule production d'opium en Afghanistan a été multipliée par 40 pendant les treize ans de l'intervention dirigée par la USA (le principal marché de consommation étant l'Europe) ; tous les réseaux étant interconnectés, la croissance de l'un – celui de la drogue – signifie une croissance similaire des autres.

Peut-être l'UE, et la France en particulier, devraient-elles mettre fin à leur financement, par les prestations et l'assistance sociales, des personnes qui ne se considèrent ni ne se comportent comme des citoyens, et allouer ces fonds au renforcement de la police, des services de renseignement, de l'armée (qui mène de vraies guerres sur des fronts multiples) ? Peut-être serait-il nécessaire de remplacer le régime de libre circulation par du contrôle intelligent répondant aux questions ”qui entre, et pourquoi, sur le territoire national” ? Peut-être serait-il nécessaire d'impliquer les musulmans modérés – qui sont souvent les meilleurs citoyens, engagés et actifs), ainsi que des représentants des autres communautés formant le tissu de la société, et de leur donner toute leur place dans la vie politique du pays (si vous les reconnaissez comme citoyens en leur donnant un passeport, donnez-leur une chance d'exercer dans la société leur pouvoir de citoyen) ? Les zones de guerre doivent être nommées pour ce qu'elles sont, et là où sont clairement identifiés des politiciens locaux soutenant et finançant les extrémistes (comme les richissimes familles du Quatar et du Koweit) : Afghanistan, Pakistan, Iraq, Syrie, Turquie, Yémen, Somalie, Libye, Sud Soudan, République centrafricaine, Niger, Tchad, Nigeria, Mali, le croissant de l'Islam s'étendant des confins de la Chine à l'Est jusqu'à la Mauritanie à l'Ouest.

Les autorités doivent identifier et détruire les organisations criminelles à base ethnique sévissant sur leurs territoires nationaux : Turcs, Albanais, Tchétchènes, Roumains. Le rôle des fondations quataries ou saoudiennes déversant leur manne dans les quartiers musulmans des cités européennes doit être pris en considération. Il faudra poser des questions embarrassantes sur le rôle joué par l'argent du Golfe dans la politique française, voire auprès des personnalités politiques, de l'UMP aux Socialistes ; c'était naguère le rôle des Renseignements généraux, service détruit par sa fusion avec la DST [Direction de la surveillance du territoire], pour former la DCRI [Direction centrale du renseignement intérieur]. Il faudra adopter une nouvelle loi, jetant les extrémistes en prison à vie et en isolement de haute sécurité sur une des îles que la France possède dans l'Antarctique (ils ont le sang trop chaud, ça les refroidira...). Les familles devront être tenues pour responsables du comportement des extrémistes (dans 80% des cas, les familles sont au courant des projets des extrémistes), leurs droits civiques leur seront retirés, et elles seront expropriées (ce qui mènera à une identification plus précoce des individus présentant un risque d'extrémisme).

Les quartiers difficiles devront être nettoyés par des opérations policières et/ou militaires, avec destruction du caïdat local, des caches de drogue, d'armes, de marchandises illicites, avec identification des immigrants clandestins présents sur le territoire national, leur mise à l'isolement suivie de leur expulsion. Les individus arrêtés seront placés dans des camps de filtration pour être interrogés, en vue d'établir les liens et connexions à l'intérieur des réseaux ; et cela en dehors du système carcéral traditionnel qui tient la première place pour l'endoctrinement et le recrutement.

Au cas où les autorités ne réagiraient pas, la population se trouvera livrée à elle-même (avec encore plus de sang dans les rues, le chaos prenant la place d'un ordre déserté), ouvrant la voie aux mouvements politiques ultra-nationalistes (comme Pegida en Allemagne, ses ultra-nationalistes faisant alliance avec les supporters des clubs de foot). En France, aujourd'hui, 53% de la population craint pour sa sécurité ; après cette dernière attaque, ce nombre va atteindre un nouveau sommet. Il y a aujourd'hui près de 9% de musulmans dans la population française, si l'on accepte les chiffres fournis par les organisations musulmanes officielles ; s'ils étaient attaqués dans les rues, ils répliqueraient certainement. L'option “guerre civile” n'est pas si éloignée : si vous ne voulez pas voir la réalité, cela ne signifie pas que la réalité n'existe pas.

Mais aucune des actions engagées en politique intérieure ne pourra résoudre le problème, sans des actions coordonnées au plan international. La question des zones de guerre devra être résolue par la restauration d'États fonctionnels dans ces territoires – avec l'acceptation de leaders locaux jouant un rôle (un pays comme l'Iran au Moyen Orient). Des groupes de leaders locaux devront être choisis et soutenus par des efforts coordonnés des membres du Conseil de Sécurité, avec, en premier lieu, une opération militaire conjointe dans ces zones : celle de l'État islamique (“Daech”), la Libye, ou la zone de Boko Haram, cet effort de “nettoyage” étant le préalable nécessaire à la restauration d'un gouvernement normal. (Dans toutes ces opérations, il est hors de question d'assurer une présence au long cours de forces étrangères, ce qui veut dire : pas d'options du type “un pied dehors un pied dedans” comme le pratiquent aujourd'hui les USA en Iraq et en Afghanistan.) Et dans le même temps, les nouveaux gouvernements de ces régions devront avoir les mains libres pour négocier efficacement avec les extrémistes. Sur le chapitre de la sécurité, la coopération entre l'Union européenne et la Russie devra être renforcée – la Russie dispose d'une vaste banque de données concernant les extrémistes, particulièrement ceux du Moyen Orient – ce qui sera utile à l'identification des réseaux œuvrant en France, et au-delà dans l'UE. La Russie est affrontée à la même menace, provenant de la même origine. Dans ce combat, quoi de plus naturel qu'une alliance entre l'Europe et la Russie ?

II. Si nous pronostiquons que cette récente attaque n'est que le début d'une chaîne d'événements similaires avec une longue traîne de conséquences, cela signifie que :

Les partis politiques ultra-nationalistes et anti UE (telle qu'établie à Bruxelles) auront un rôle croissant dans les politiques des membres de l'UE (à commencer par le FN en France qui en est déjà le premier parti politique) ;  cela, combiné à la crise systémique de l'UE, cet écheveau d'éléments structurels de crise économique, et d'“exit” de la Grèce (avec sa dette d'État de 240 milliards de dollars US auprès de créanciers étrangers, ce qui ouvrirait un gouffre dans le budget de l'UE / FMI... et la Grèce est 4 fois plus petite que l'Ukraine), fera sortir la crise ukrainienne (son chaos et son coût grandissants) des priorités des politiques européennes. Dans ce scénario, et en dépit de la pression des USA, de l'exigence ukrainienne d'un renforcement de l'alliance autour du projet de Mur ukrainien contre une agression russe (s'étendant de la Baltique à la mer Noire), projet établi sur une étroite coopération militaire entre la Pologne, les États baltes et l'Ukraine (sous parapluie US), les pays européens vont essayer d'infléchir les tensions avec la Russie, acceptant le statu quo et privilégiant la désescalade. La restauration du dialogue pourrait conduire à une coopération plus étroite entre la Russie et l'UE dans les domaines de la sécurité et de la défense. Et là, c'est la France qui a le plus grand rôle à jouer, venant tout juste d'être grièvement mise au premier plan par les récents tragiques événements.

Hélas, les déclarations de solidarité avec les victimes de la tuerie de Charlie, en Occident, ne concernent les esprits et les émotions que d'une petite partie de la population mondiale. Pour un milliard de musulmans, il y a bien d'autres soucis, bien d'autres préoccupations. Pour les gagner à cette cause (l'Ouest devrait essayer de les comprendre mieux), la Russie peut aider à l'instauration du dialogue.

Dans l'histoire passée de l'Europe, Alaric, le chef des Goths, parvenu sous les murs de Rome, s'entendit déclarer par le consul de la cité qu'il y avait plus de Romains dans la cité que de soldats dans l'armée gothe. « Plus il y a d'herbe, plus elle est facile à couper », répondit Alaric. Cela se passa ainsi très précisément parce que les citoyens de la Rome impériale avait perdu toute idéologie patriotique, celle qui veut que chacun soit défenseur de sa patrie, que le courage et le dévouement des hommes et des femmes soient une meilleure protection que les remparts de la cité.

 

 

Mikhail DAVYDOV

Vice-président de l'Organisation russe de Solidarité et de Coopération avec les Peuples d'Asie et d'Afrique

18:05 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

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