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29/12/2007

Jacques Sapir protectionniste.

Interview de Jacques Sapir par Pascale Fourier sur le protectionnisme

Pascale Fourier : Finalement, dans votre livre, La fin de l'euro-libéralisme publié au Seuil, vous remettez en cause le libre échange... en quoi ?

Jacques Sapir: Je crois que derrière le libre-échange, il y a deux débats, extrêmement importants. Il y a un premier débat général qui consiste à dire que fondamentalement l'abandon de tout obstacle à la circulation des biens et des capitaux engendre toujours et partout des situations qui sont favorables au plus grand nombre. Ce qui est faux. Les économistes le savent : ce n'est juste que dans conditions extraordinairement restrictives qui ne s'appliquent pas au monde réel. Nous savons que d'un point de vue général l'idée qui consiste à dire le libre échange est toujours et partout la meilleure des solutions n'est pas validée par nos connaissances en économie.
Après, il y a un deuxième débat, que je dirais plus contextualisé, qui consiste à se poser la question suivante : " Concernant deux ou un certain groupe de pays dont les caractéristiques économiques sont tout à fait semblables, qui ont des législations sociales et écologiques semblables, est-ce qu'il ne faut pas désarmer les protections tarifaires ? Est-ce que dans ce cas l'élargissement de la taille du marché n'est pas souhaitable ? ". C'est quelque chose qui se discute au cas par cas, il n'y a pas de lois générales. Quelquefois, c'est vrai, il vaut mieux effectivement procéder à un désarmement douanier tarifaire, mais il y a des cas où, malheureusement, ça ne s'applique pas.

Pascale Fourier : Dans votre livre, vous insistez sur le fait que le libre-échange empêche tout choix national notamment dans la protection sociale...

Jacques Sapir: Il y a une dimension politique qui n'est jamais avancée dans le libre échange et qui me semble pourtant tout à fait essentielle. Quand vous êtes en situation de libre échange, cela veut dire concrètement que les consommateurs comparent sur la base du rapport coût/qualité. Or dans la formation des coûts, nous savons très bien qu'il y a les niveaux de salaires, les niveaux de protection sociale - car la protection sociale coûte quelque chose - et les réglementations écologiques, qui elles aussi ajoutent quelque chose au coût. Le problème qui se pose est le suivant : admettons deux pays qui ont des niveaux de productivité et d'efficacité économiques à peu près similaires; dans un pays, on décide d'appliquer des normes écologiques relativement strictes et des normes sociales avantageuses, et pas dans l'autre pays. Et ces deux pays sont unis par un traité de libre-échange. Que se passe-t-il ? Les produits qui viennent du pays qui s'est imposé des contraintes sociales et écologiques plus importantes vont perdre leur compétitivité par rapport à l'autre pays. Et si les consommateurs obéissent à la logique coût/qualité - ce qui est tout à fait normal, et en tant que consommateur je réagirais aussi de cette manière-là -, alors les consommateurs vont en quelques sorte dénoncer la décision politique qui aura été prise, parce qu'en choisissant massivement d'acheter les produits venant du pays qui n'a pas adopté ces réglementations, ils rendent ces réglementations intenables dans le pays qui les a adoptées, soit sous la forme de faillites d'entreprises, soit sous la forme de délocalisations. Vous savez, les faillites sont une forme de délocalisation, de la même manière que les délocalisations sont une forme de faillite, car les deux se complètent en fait. Ce qui veut donc dire que dans un système de libre échange généralisé, c'est toujours le moins disant-moins coûtant qui l'emporte. Et là, on a un vrai problème. Et on le voit aujourd'hui, il y a une pression à la baisse à la protection sociale et à la protection écologique. Un exemple très simple: on a fait passer en Europe le protocole de Kyoto, ce qui a été difficile. Avec sa ratification par la Russie, ce protocole devient réellement applicable au niveau mondial. Mais nous savons qu'un certain nombre de grands pays, en particuliers les Etats-Unis, ne l'appliquent pas. Et d'ores et déjà, il y a des industriels français, allemands, belges qui viennent voir leurs gouvernements et qui demandent des exemptions aux contraintes du protocole. Pour des raisons très simples : il y a des industries, comme la chimie, la métallurgie en particulier, où le protocole de Kyoto est susceptible d'ajouter 10 à 15 % au coût de production, à technique comparable. Ça crée des problèmes très réels de compétitivité. Alors que fait-on ? On laisse la situation de libre-échange et on va défaire d'une main ce qu'on a fait d'une autre ? Et surtout on va la défaire d'un point de vue technique alors qu'il y a eu une ratification politique du protocole de Kyoto ?! Ou on se dit : chaque société, chaque espace politique national a le droit de faire ses choix - on peut les considérer comme bons ou mauvais, mais c'est une autre question, et tout le monde a le droit de se tromper. En tout état de cause, ce qu'on ne peut pas accepter, c'est que les choix d'autrui viennent s'imposer à vous ! Et c'est bien le problème de fond posé par le libre-échange : c'est que poussé jusqu'à un certain point, le libre-échange enlève toute autonomie au choix politique, et nous condamne en fait toujours à être tiré vers le bas.

Pascale Fourier : Condamnation très réelle ? C'est-à-dire que si on laisse le libre-échange perdurer, la France, à terme, devrait renoncer à ce qu'on appelle son modèle social ?

Jacques Sapir: C'est une évidence. Et c'est déjà en train de se passer. Alors ça se fait de diverses manières. Prenez par exemple le cas de l'Allemagne. On s'aperçoit aujourd'hui que les entreprises allemandes n'arrivent à gonfler leurs résultats qu'en transférant leurs activités hors d'Allemagne, dans les nouveaux pays de l'Europe des 25, où, évidemment, les coûts sociaux et écologiques sont beaucoup plus faibles. Le résultat de cela, c'est que les entreprises maintiennent des résultats sont certes tout à fait satisfaisants, mais on a de l'emploi qui se déplace, qui se délocalise, et on a un chantage qui est fait vis-à-vis des salariés qui restent dans les pays relativement protégés. On l'a vu avec les 35H00 : " Ou vous acceptez spontanément d'abandonner les 35H00, c'est-à-dire les bénéfices d'une protection sociale, ou nous fermerons l'usine ". C'est le chantage à l'emploi. Et ce chantage à l'emploi n'existe que parce qu'on est en situation de libre échange.

Pascale Fourier : La charge que vous faites contre le libre échange est forte. Mais qu'est-ce qu'il est possible de faire ?

Jacques Sapir: Alors, il y a grosso modo deux types de solutions. La première - la plus attrayante - consisterait à se mettre d'accord globalement sur des règlementations sociales et écologiques communes et qui soit fondées cette fois-ci sur le mieux-disant, le mieux-offrant. Malheureusement c'est une utopie, et il faut la considérer comme telle. On peut avoir certains pays dont les législations sociales et écologiques convergent, mais nous voyons bien que les situations dans les espaces politiques nationaux sont relativement différentes, y compris en Europe. Ce qui est tout à fait frappant, c'est que dans l'Europe des 25, il y a en réalité une très grande diversité de cultures politiques, et certaines cultures politiques mettent en avant plutôt certains aspects que d'autres. Il est clair par exemple qu'en France la sensibilité écologique est moins poussée qu'en Allemagne ou qu'aux Pays-Bas, mais que par contre la sensibilité sociale y est peut-être plus poussé que dans d'autres pays. Il y a donc des spécificités nationales du point de vue des cultures politiques, et on n'arrive pas en réalité à constituer un accord global. On le voit bien au niveau de l'Union Européenne : il y a beaucoup gens de gauche qui disent que la vraie réponse à tous ces problèmes, c'est l'Europe sociale. Soyons sérieux ! Cette Europe sociale, on en parle depuis plus de 15 ans, et elle n'avance pas. Pourquoi ? Pour une raison très simple. Ou vous respectez la souveraineté des autres pays, et vous êtes obligés d'accepter sur des questions aussi importantes la règle de l'unanimité, et il y aura toujours quelqu'un pour bloquer. Ou vous dites : " La règle de l'unanimité saute ", mais ça peut devenir insupportable pour beaucoup de pays qui ne vont pas accepter de perdre leur souveraineté. Et je dois dire d'ailleurs qu'il est très clair que la population française, les électeurs français, n'accepteraient pas - et d'ailleurs, il ne l'ont pas accepté - des réglementations qui seraient régressives, imposées par une instance internationale. On a là une espèce d'échec fondateur du mythe de l'Europe sociale, tant que ce projet porte sur des pays dont les cultures politiques sont très différentes. Si on discute après de l'Europe sociale entre la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, bref grosso modo les pays fondateurs du Traité de Rome, là, je serais nettement moins négatif: je pense que cette Europe sociale peut exister, mais elle ne peut exister que sur un nombre très limité de pays. Donc, de facto on pose le problème de l'autre solution. Si on ne peut pas faire l'Europe sociale, qu'est-ce qu'on fait ?
Eh bien la seule solution, c'est de compenser les coûts supplémentaires que, d'une certaine manière, nos sociétés acceptent de s'infliger par de la protection sociale, par de la protection écologique, par de la réglementation du travail - du temps de travail, la protection du travail des mineurs, la protection du travail de femmes. Il faut donc compenser. Comment compenser ? De plusieurs manières. La plus simple, c'est de compenser par des droits de douanes, qui pourraient être calculés à partir des écarts de productivité. Un pays dont la productivité est très faible ne peut pas en réalité fournir la protection sociale et écologique d'un pays dont la productivité est très forte. Donc ce pays-là ne devrait pas être taxé, ou devrait l'être de manière extrêmement faible. Par contre, quand un pays dont la productivité est très forte - je pense aux Etats-Unis - refuse d'appliquer des réglementations écologiques ou sociales, il doit y avoir des droits de douanes qui compensent le coût de nos propres réglementations. J'insiste sur un fait : c'est que c'est très important pour les emplois à faibles qualifications, car ce sont ces emplois-là qui sont les plus vulnérables aux effets de coûts liés à la protection sociale et à la protection écologique. Or il faut savoir qu'aujourd'hui, pour éviter un effondrement de l'emplois dans les secteurs à basse qualification - qui vont rester importants dans nos économies -, nous sommes obligés de subventionner les emplois. Un exemple : les abattements de charges pour les PME représentent plus de 20 milliards d'euros par an ; la prime à l'emploi, qui est en réalité une subvention aux emplois à faible qualification - il faut bien savoir comment elle fonctionne - représente 4 milliards d'euros par an ; et y a d'autres mécanismes de subventions. Donc nous sommes obligés de subventionner massivement des emplois pour éviter qu'ils se délocalisent ou qu'ils soient détruits par fermeture. Et en contrepartie, nous n'avons plus le budget pour financer les efforts en recherche et développement qui nous permettraient d'avoir toujours la compétitivité technique nécessaire pour le futur. J'ai donné deux exemples : ça fait 24 milliards d'euros par an. Il faut savoir que l'agence d'innovation et de compétitivité - c'est une très bonne chose - qui a été créée en 2005 par le gouvernement de Villepin, ne reçoit qu'un milliard d'Euros par an, c'est-à-dire qu'1/24ème des sommes que l'on dépense pour subventionner des emplois à faibles qualifications, qui en réalité pourraient être sauvés par des protections tarifaires.

Pascale Fourier : Je ne vois pas en quoi la solution que vous préconisez permettrait de lutter contre les importations massives de produits textiles chinois.

Jacques Sapir: De ce point de vue, il faut regarder très clairement où en est dans ce secteur la productivité du travail en Chine - je pense qu'elle est très proche de la nôtre - et quel est le niveau de protection sociale et écologique qui y est appliqué. Et on établit des droits de douane qui visent à compenser l'effet de dumping social et écologique que l'on a dans une industrie qui s'est massivement modernisée. Je dois dire également qu'un autre intérêt du protectionnisme, c'est qu'il permet de choisir les pays que l'on veut favoriser, c'est-à-dire que, si on établit des barrières protectionnistes, on peut décider de les lever spécifiquement pour un pays. Et la question du textile nous donne un exemple très intéressant. Jusqu'à maintenant, c'est-à-dire grosso modo jusqu'en 2006, le textile était relativement contingenté sauf pour des pays comme le Maroc ou la Tunisie, bref pour les pays de l'arc méditerranéen. Et quand on a décontingenté le secteur - c'est à ce moment-là que les exportations chinoises sont arrivées - , ça a eu un effet tout à fait dramatique sur l'emploi au Maroc et en Tunisie, avec des éléments de destabilisations sociales vraiment très graves surtout pour le Maroc - la Tunisie je connais moins, elles sont peut-être aussi graves qu'au Maroc, mais je ne peux pas en parler de manière aussi précise - mais en tous les cas, pour le Maroc, l'économie du nord a été complètement destablisée, avec des problèmes sociaux très graves et une aggravation du basculement de l'économie du nord du Maroc dans l'économie de la drogue, qui est aujourd'hui la véritable sécurité sociale marocaine. Et on voit bien que si l'Union Européenne avait conservé des politiques protectionnistes, par exemple dans le secteur du textile, on aurait pu aider le Maroc, dans le cadre d'une négociation politique : " On vous fait une exemption favorable. En contrepartie, dotez-vous d'un programme de montée progressive en matière sociale et écologique, en matière d'éradication de la culture de la drogue, etc". On peut à nouveau rentrer dans de la négociation politique à partir du moment où on a cet instrument. Le libre-échange, au contraire, dépolitise la question, et empêche évidemment toute négociation. Le résultat, c'est qu'on est confronté désormais à des involutions sociales, à des évolutions négatives, qui sont extrêmement graves, que ce soit chez nous bien entendu, ou que ce soit dans des pays qui nous sont proches et dont les crises sociales finiront toujours par rejaillir sur nous.

Pascale Fourier : Et comment fait-on avec les pays nouveaux entrants de l'Europe qui n'ont pas de systèmes de protection sociale équivalent aux nôtres ? On mettrait des barrières tarifaires au sein de l'Europe, entre pays européens ?!!

Jacques Sapir: On peut soit mettre des barrières tarifaires entre européens, mais ceci signifierait la fin de l'Europe telle qu'on la connaît. Mais il y a une solution qui a été utilisée dans le cadre du Traité de Rome qui s'appelle les "montants compensatoires monétaires" - les MCM -, qu'on appellerait ici les "montants compensatoires sociaux". Au départ, les MCM avait été créés pour corriger des effets de dévaluation très forte - ou de réévaluation d'ailleurs, ils auraient pu très bien fonctionner en sens inverse - entre des pays liés par le Traité de Rome. Et on peut là tout à fait dire à ces pays : " Vous avez des productivités qui s'alignent sur les nôtres, vous avez maintenu des taux de change très faibles, vous n'avez pas de protection sociale, on introduit des montants compensatoires sociaux et monétaires, dont d'ailleurs les revenus pourraient vous être reversés pour vous permettre progressivement de constituer les réglementations sociales et écologiques qui vous mettraient à parité avec le noyau de l'Europe". Et je dois dire que, quand on parle de droits tarifaires, de droits de douane ou de montants compensatoires, il faut bien voir que ces droits ont deux effets. Ils ont d'abord un effet direct qui consiste à faire monter le coût du produit importé. Puis ils ont un effet fiscal : on prélève une somme et cette somme va dans le budget de l'Etat. Alors, autant, en tant qu'économiste, la hausse du coût me semble nécessaire - c'est ce qui doit compenser en terme de compétitivité un avantage indu - autant on peut discuter de la légitimité pour le budget français, allemand, belge, etc., de recevoir un revenu supplémentaire. B. Cassen du Monde diplomatique avait en son temps avancé une idée, il y a de cela quelques année. Il disait : " Il nous faut du protectionnisme. Et il faudrait que les montant prélevés soient reversés aux pays pour leur permettre justement progressivement de faire fonctionner un système social plus avantageux ". Eh bien on pourrait très bien dire à ces pays : " Oui, c'est vrai, nous allons pénaliser une partie de vos exportations par le biais des montants compensatoires sociaux, mais l'argent qui en sera retiré, qui sera prélevé, vous sera reversé, dans le cadre par exemple d'une caisse au développement social, qui doit servir à financer des infrastructures sociales, une mise à niveau de votre système de retraite, etc ". Il y a plusieurs manières d'envisager les choses. C'est une manière de dire à ces pays : " Nous ne voulons pas que vos choix déstabilisent les nôtres. Mais si vous vous engagez - évidemment pas d'une année sur l'autre, il faut être réaliste - mais si vous vous engagez dans un délai de 10 ans, par exemple, à converger socialement et écologiquement avec nous, eh bien on est prêt à vous aider, y compris d'ailleurs en se mettant d'accord sur un échéancier à la fois de convergence sociale et écologique de la part de ces pays, et de notre part, de désarmement progressif de ces droits de douanes ou de ces montants compensatoires. Et on arriverait à des formes effectivement de libre-échange. Car l'idée de ces montants compensatoires sociaux n'exprime pas un rejet systématique du libre-échange. Je pense effectivement qu'il y a des moments où il vaut mieux ne pas avoir de droits de douane, et il y a d'autres moments où il vaut mieux en avoir. Mais au moins que cela se fasse de manière ordonnée et avec des engagements réciproques des pays concernés.

Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne, EMISSION DU 24 OCTOBRE 2006

Jacques Sapir

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28/12/2007

Est-ce au Parlement de ratifier le traité européen?

Si son adoption paraît inéluctable, la minorité d'élus opposés au texte ne désarme pas pour autant.
Le calendrier est arrêté: le projet de loi modifiant la Constitution française, préalable à la ratification du Traité de Lisbonne, sera examiné le 15 janvier par les députés, le 28 par les sénateurs. Puis direction Versailles, où le Congrès sera réuni le 4 février.
A l'Assemblée, les élus sont divisés entre convictions et pragmatisme, au-delà du clivage gauche/droite. A chaque évocation de la question dans l'hémicycle, les "référendum, référendum" se mêlent aux sifflets. Il y a ceux qui sont favorables à la procédure et au texte, ceux qui réclamaient un référendum mais approuvent le traité, et ceux qui s'opposent à la fois sur le fond et la forme:
 Le PS l'avait promis durant la campagne présidentielle: s'il accède aux responsabilités, il soumettra le Traité de Lisbonne à référendum. Le résultat de l'élection étant celui que l'on connaît, c'est la promesse de Nicolas Sarkozy qui s'appliquera: le "traité simplifié" passera par la case Congrès pour être ratifié.
L'UMP ayant une large majorité au Parlement, l'issue du vote ne fait aucun doute. La quasi totalité de ses élus devraient dire oui comme un seul homme. Même si certains grimacent à l'idée d'assumer le fait de passer outre la consultation populaire. François Goulard est de ceux-là. Pour lui, "ce n'est pas entièrement satisfaisant", mais "l'Europe a besoin réellement d'avoir des règles de fonctionnement qui changent".
L'opposition réclame pour la forme un référendum
"Il faut être pragmatique." Le mot d'ordre est identique du côté des socialistes. Le Bureau national du parti l'a acté en novembre: la position officielle du PS est le oui au Traité de Lisbonne. Quant à la procédure d'adoption, "la question est légitimement posée", reconnaît Gaëtan Gorce, mais question légitimité, le Parlement l'est tout autant pour "ratifier les traités portant sur l'Union européenne".
Pour faire respecter leur promesse de campagne, les socialistes déposeront pour la forme le 15 janvier, avec les Verts et les communistes, une proposition de loi demandant la tenue d'un référendum. Pour la forme, car la majorité UMP-Nouveau Centre y est hostile, de même qu'un certain nombre de députés PS.
Insuffisant pour faire échouer la ratification parlementaire
La démarche de Gauche Avenir n'a de fait pas plus de chances d'aboutir. Le club de réflexion, qui rassemble politiques et penseurs de gauche, milite pour réunir la minorité de blocage nécessaire au Congrès -2/5e des suffrages- et faire échouer la révision de la Constitution française. Nicolas Sarkozy serait alors contraint de faire ratifier le traité européen par la voie référendaire. Or, il faudrait que l'ensemble de l'opposition plus quelques élus de droite votent non à Versailles, ce qui semble loin d'être acquis.
Devraient donc principalement s'opposer à la modification constitutionnelle, puis à la ratification du traité, les députés de la droite souverainiste, Nicolas Dupont-Aignan en tête, pour qui le passage du texte devant le Congrès est un "viol", ainsi que les élus de la gauche antilibérale, dont le communiste Maxime Gremetz, qui martèle: "Ce que le peuple a décidé, il n'y a que le peuple qui peut le défaire." Insuffisant pour contrarier la volonté présidentielle

Par Julien Martin (Rue89)   

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20/12/2007

L'indépendance du Kosovo minerait l'équilibre européen

Par Jean-Pierre Chevènement, président d'honneur du MRC, président de la Fondation Res Publica, ancien ministre, tribune parue dans Le Figaro, mardi 11 décembre 2007.
Le Kosovo entend proclamer son indépendance, réclamer son entrée aux Nations unies, l'adhésion à l'Union européenne et des crédits qui vont avec. Volonté comprise de beaucoup qui se préparent déjà aux cérémonies de reconnaissance, aux embrassades, au grand concert avec chœur et trilles et à l'exécution de la 9e Symphonie de Beethoven. On comprend cette inclination devant le principe d'autodétermination et bien peu discuteront de l'issue d'un référendum sur une possible indépendance. Rien d'étonnant. La nature humaine est ainsi faite que si l'on consulte de par le monde d'innombrables groupes plus ou moins organisés, on enregistrera autant d'émouvantes aspirations à la sécession et à l'indépendance, d'autant mieux étayées qu'une puissance extérieure, disposant de quelques moyens, paraît déjà toute prête à vous aider.

La question est évidemment de savoir s'il convient de s'arrêter, et où. Faut-il indéfiniment encourager au fractionnement, aux divisions, à la scissiparité, célébrer la mise en place de nouvelles frontières, alors qu'au même moment on exalte le dépérissement des identités nationales et l'ensevelissement dans le grand tout ? La contradiction étant évidente, les réponses sont naturellement embarrassées et dépendent de l'air du temps. Là on pleure le policier victime d'un indépendantiste qualifié de terroriste et l'on défile pour l'unité nationale. Ici l'on crie à la répression ou à la ringardise patriotique.

Si, dépassant les humeurs, on s'inquiétait un peu du bien-être général, on rappellerait sans doute le vieux principe que l'intérêt des uns doit tenir compte de celui des autres. En l'occurrence, il importe qu'un peuple européen, animé par l'ambition qu'il estime très légitime de son indépendance, fasse attention aux préoccupations de paix et de stabilité, aussi légitimes également, de ses voisins. Il y va, très simplement, de ce qui avait été conçu, au lendemain de la chute du mur de Berlin, pour fonder l'ordre et la tranquillité de l'Europe.

Cet ordre, tel qu'il fut inscrit dans les textes des grandes conférences, notamment la Conférence de Paris, qui accompagnèrent la dislocation du bloc soviétique, était organisé autour du respect d'une vérité élémentaire : le respect des frontières existantes sauf à les modifier par consentement pacifique. C'est en application de cette idée-force, devenue vrai dogme des négociations européennes, que la frontière orientale de l'Allemagne demeure celle tracée par l'Oder et la Neisse, et que les anciens satellites de l'URSS ou républiques membres recouvrirent l'indépendance ou y accédèrent sans problèmes majeurs. La Tchécoslovaquie se divisa parce que les deux peuples constituant ce pays convinrent de se séparer amiablement, pacifiquement. La République fédérale yougoslave éclata en grande partie parce que les Occidentaux refusèrent que les Serbes puissent créer à l'intérieur de la Bosnie ou de la Croatie de nouvelles frontières englobant les communautés serbes homogènes. On fit, en revanche, prévaloir, contre l'avis de Belgrade, que les limites des anciennes républiques fédérées à l'intérieur de la Yougoslavie étaient des frontières justifiant d'être respectées comme telles. Et le Monténégro devint indépendant par accord de la Serbie.

Le cas du Kosovo est, chacun le sait, fort différent, car ce territoire n'a jamais été considéré comme une république fédérée et parce que la Serbie, qui y est attachée par de très profonds liens et symboles historiques, religieux, nationaux, n'entend pas s'en couper. De cette situation, de la force des principes qui avaient permis de régler pacifiquement la succession de l'URSS et qui avaient valu ensuite aux Croates, aux Slovènes, aux Macédoniens et aux Bosniaques le soutien international, les négociateurs européens, occidentaux et russes tinrent compte, lors du règlement de la guerre du Kosovo voici moins de dix ans. Autonomie substantielle. Respect de la souveraineté nationale de la République fédérale yougoslave, autrement dit respect des frontières. Tels étaient les principes d'un accord de paix conforme aux exigences immédiates du dénouement pacifique de la crise mais aussi aux principes fondamentaux de l'organisation de l'Europe. Va-t-on tout jeter bas ? Au risque, on le sait, de semer en Europe les germes de nombreuses sécessions, en Bosnie, Géorgie, Moldavie, etc., au risque, au-delà de l'Europe, de donner un singulier exemple qui fera réfléchir Marocains, Indiens, Indonésiens et nos excellents amis canadiens…

Souhaite-t-on vraiment se donner un nouveau prétexte de solide et bonne brouille avec la Russie ? On peut penser tout ce que l'on veut du régime russe mais les dernières élections tendent à prouver que celui-ci est assez solidement installé. Faut-il lui offrir l'occasion d'ajouter à la confusion en choisissant la Serbie pour théâtre d'une éventuelle réplique stratégique au déploiement éventuel d'un réseau américain d'armes antimissiles ? Ou bien convient-il, comme le font assez habilement les Allemands, de continuer de discuter avec la Russie le plus raisonnablement et froidement possible ? Il se trouve que le dossier du Kosovo est précisément celui sur lequel travaillent depuis longtemps, en relative intelligence, les trois acteurs : États-Unis, Union européenne et Russie. C'est même l'un des très rares sujets de politique étrangère où l'Union européenne, en tant que telle, fonctionne réellement sur un pied de stricte égalité avec Moscou et Washington.

N'est-il pas l'heure plutôt pour tous ceux qui, quels que soient leurs credo, souhaitent que la voix de l'Europe soit entendue, d'encourager ses négociateurs à poursuivre la discussion avec la Russie sur la formule la plus propice (il y a mille combinaisons possibles) à satisfaire la volonté d'autonomie et de vivre ensemble des Kosovars, sans qu'une excessive prétention à un siège indépendant à l'ONU, et pis, que l'établissement d'une nouvelle frontière vienne miner encore plus la base de l'équilibre européen ?

Mardi 11 Décembre 2007
Jean-Pierre Chevènement

13:38 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

17/12/2007

Portez plainte contre le nouveau traité

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Vous avez voté non au référendum sur la constitution européenne? Vous pensiez que votre vote majoritaire serait respecté et vous êtes absolument révolté que ce ne soit pas le cas? Portez plainte contre la ratification du soi-disant mini-traité. A cet effet une adresse est disponible dans les liens utiles à gauche. Toute la démarche à suivre y est expliquée.
Faites le et que vive la France!

Incisif

12/12/2007

Incroyable : quatre pays peuvent faire capoter le «Traité simplifié»

Tout le monde fait comme si le Traité de Lisbonne était déjà adopté. En réalité, l'Irlande, l'Angleterre, le Danemark et la Belgique peuvent le faire capoter.
« Promis, on ne fera pas de référendum », ont juré, la main sur le cœur, Français, Hollandais et Tchèques durant la négociation du traité de Lisbonne en juin dernier. Nicolas Sarkozy est alors rentré à Paris annoncer que le nouveau traité européen serait adopté avant la fin de l'année 2007. Outre le fait qu'il avait totalement oublié que la procédure parlementaire française l'empêcherait de tenir ce délai, le nouveau Président avait négligé que, selon le principe d'unanimité en vigueur en Europe sur les traités, le rejet du texte par un seul Etat membre invaliderait tout le processus. Or, quatre pays pourraient poser des difficultés. Selon des sources proches des autorités européennes, la France, qui présidera l'UE à partir de juin 2008, préparerait déjà son argumentaire pour éviter les impairs.

Irlande : un référendum gagné d'avance ?

Seul pays recourant au « référendum obligatoire » pour les affaires européennes, l'Irlande a déjà par le passé rejeté le traité de Nice, en 2001. Bien que l'UE ait été l'un des principaux artisans du « miracle irlandais », un sondage paru dans l'Irish Times du 5 novembre 2007 marque le désintérêt de la population pour le traité… pour le moment ! L'enquête donne 25% des personnes interrogées pour et 13% contre avec une majorité écrasante de 62% d'indécis. « Les Irlandais sont capables de dire « non » quand ils le pensent, explique Dennis Mc Shane, ancien secrétaire d'Etat aux Affaires européennes anglais. L'Irlande de 2007 n'a rien à voir avec la France de 2005 : ils sont en plein boom économique, les syndicats sont favorables à l'Europe et il n'y a pas de Laurent Fabius ! »

En apparence, toutes les conditions semblent réunies pour que le « oui » l'emporte, sans compter que la quasi totalité des partis politiques sont euroenthousiastes. Mais certains éléments laissent planer un doute quant à l'issue du vote. La date de scrutin n'a pas encore été arrêtée par le gouvernement et, selon le site d'information européen EurActiv, le gouvernement travaillerait très sérieusement à garantir l'adoption du traité. Pierre Moscovici et Frans Timmermans, ministre délégué aux Affaires européennes hollandais, ont même fait le déplacement jusqu'à Dublin pour expliquer aux députés ce qu'il en avait coûté à leurs pays respectifs de dire « non » au Traité constitutionnel européen en 2005. Ann Cahill, correspondante à Bruxelles du Irish Examiner, note, entre autres arguments, que la côte de popularité du gouvernement et de son chef, Bertie Ahern, est en baisse, ce qui ouvrirait à la voix à un vote sanction : « la croissance ralentit et les Irlandais commencent à se plaindre des étrangers, notamment ceux venus d'autres pays de l'UE, qui représentent aujourd'hui 12% de la population active. »

En France, le « cas irlandais » est observé de près. Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République et ferme adversaire du traité de Lisbonne compte sur les Irlandais : « si rien ne se passe en France, ils peuvent encore faire la différence. » Aidé par le groupe souverainiste européen Indépendance et Démocratie, il compte aller faire campagne à Dublin pour le « non », comme d'autres partisans du traité iront encourager le « oui ». Une mobilisation qui rappelle celle du référendum sur le traité de Nice… que les Irlandais avaient rejeté en 2001.
Angleterre : le seul Etat membre foncièrement noniste

Le voisin de l'Irlande est pour sa part dans une situation particulière : ne s'étant pas arrêté sur le mode de validation du traité de Lisbonne, il peut encore décider d'opter pour le référendum. Le mode d'adoption dépendra en grande partie du résultat du vote irlandais. Mieux vaut dire « non » après Dublin que de recevoir le bonnet d'âne pour avoir stoppé le processus de ratification en s'en remettant aux urnes. Car le Royaume-Uni a cela de particulier que non seulement l'opinion est traditionnellement contre la montée en puissance de l'Europe mais aussi la majorité de sa classe politique ! « Même les médias sont pour le non », souligne Christophe Beaudoin, président de l'Observatoire de l'Europe après le non. Cette situation met le Premier ministre, Gordon Brown, dans une situation délicate : alors qu'il bénéfice de moins en moins du soutien de l'opinion, l'opposition conservatrice le pousse à organiser un référendum… pour lui donner la responsabilité de son éventuel échec !
 
Belgique : petit souci de gouvernement provisoire

Si la Belgique a pris l'option parlementaire, c'était avant le début de la crise qui l'a privé de gouvernement. L'arrivée d'un cabinet provisoire mené par Guy Verhofstadt, l'ancien premier ministre, ne fait que déplacer la question : en droit constitutionnel, un gouvernement provisoire ne peut en effet traiter que des questions relevant des « affaires courantes ». D'où le débat qui, depuis le retour en fonction de Verhofstadt, agite les pages du quotidien Le Soir : l'adoption d'un traité européen est-elle une affaire courante ? Entre juristes, la bataille fait d'autant plus rage qu'un précédent existe : le 2 février 1992, le traité de Maastricht fut signé alors que le gouvernement issu des élections du 24 novembre 1991 n'avait pas été formé. La situation est ici sensiblement différente dans la mesure où ce n'est pas le délai de formation du nouveau gouvernement qui retarde la mise en place d'un cabinet mais une crise politique majeure qui empêche tout accord. Dans ce cas, il serait presque plus simple de passer par un référendum, les Belges étant considérés comme les plus euroenthousiastes de l'Union ! 

Danemark : la possibilité d'un référendum

Un rapport a aujourd'hui été rendu par le ministre de la Justice sur le traité de Lisbonne, assurant que ce dernier ne menaçait pas la souveraineté de ce pays qui avait déjà refusé la première version du traité de Maastricht (avant d'en accepter une version amendée). Mardi 11 décembre, le Premier ministre annoncera le mode de scrutin retenu. Les élections législatives du 13 novembre dernier n'ont donné lieu à aucun débat sur la question européenne : la majorité libérale conservatrice est en effet aussi favorable au traité de Lisbonne que les socio-démocrates et les socialistes. Hormis un excès de confiance qui pourrait pousser le Premier ministre à choisir l'option référendaire, il est peu probable qu'il prenne le risque.

Car, depuis 2005, le « complexe du référendum » plane sur tout ceux qui osent approcher la voix des urnes, confie-t-on dans les instances européennes. « C'est un outil de déstabilisation politique terrible : tous les Etats membres et partis politiques tomberaient à bras raccourcis sur un gouvernement qui ramènerait le « non » en Europe. » Ainsi que sur le très présomptueux Président français qui a fait de l'adoption du traité une héroïque geste pour se démarquer de « l'échec européen » de Chirac.
 

Sylvain Lapoix

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