23/06/2007
Souverainisme, sport et dopage
Le hasard du surf sur le web nous ammène parfois vers une pépite que l'on ne cherchait pas. "Voula" Paraskevi Patoulidou ex-championne olympique du 100m haies en 1992 (rentrée dans l'histoire verbale par son fameux "Et pour la Grèce, merde, !"), nous livre une interview (qui date de 3 ans), toujours d'actualité par son fond. Sa grande intelligence et lucidité, se devait d'être soulignée.
Entretien avec Voula Patoulidou pour Outre-Terre
Outre-Terre : Vous avez dédié votre victoire olympique de 1992 à la Grèce. Comment interpréter le fait qu’un nombre croissant d’athlètes concourent sous un drapeau autre que celui de leur pays d’origine ?
Voula Patoulidou : Le don de ma victoire à mon pays résulte de mon éducation, des valeurs que j’ai appris à respecter depuis mon enfance. Tous ces changements de drapeaux me semblent étranges. Ils font partie de la bourse du sport actuel où les grandes performances se traduisent par de grands profits. Un athlète qui concourt sous les couleurs d’un pays représente, outre un ensemble de réussites physiques et psychiques, la culture de ce pays. Qu’un athlète concoure sous une bannière autre que celle de son pays d’origine ne me gêne pas, à condition qu’il ait vécu assez longtemps dans le nouveau pays et puisse être considéré comme porteur de sa culture. On ne peut cependant ignorer les passions que déchaînent les athlètes tant au niveau des États que celui des sponsors, même si ces passions sont contraires à l’olympisme. Le phénomène nous était auparavant connu en football, il s’étend désormais à tous les domaines du sport, dans la tolérance générale.
Outre-Terre : Certains pensent que la Grèce est trop petite pour répondre aux besoins d’un événement de la taille d’une Olympiade…
V. P. : On disait de la même manière il y a quelques années que les athlètes grecs ne seraient jamais capables de se qualifier devant les « monstres » étrangers. Alors que nous constatons une augmentation, depuis un certain temps, des performances grecques dans les compétitions internationales. La Grèce est en train de se donner, en sport, un nouveau visage.
Ce pessimisme quant aux JO d’Athènes relève d’un terrible défaut qui nous est propre : nous ne cessons de sous-estimer notre pays et de le rabaisser dans nos conversations avec des étrangers.* Je n’ai vu cela nulle part ailleurs ou presque. Pensez à Atlanta en 1996. Une bombe explose dans le parc olympique, mais les organisateurs font tout pour minimiser l’incident. Et le scandale qui suit reste minuscule en regard de la gravité de l’événement. Si un tel incident se produisait à Athènes, nous parlerions tous d’un début de Troisième Guerre mondiale.
Je crois donc qu’en août prochain, tout sera prêt pour un bon déroulement des Jeux. Il y aura probablement quelques petits défauts, comme pour toutes les Olympiades. On dit que Sidney a organisé des « Jeux parfaits », mais discutez en avec les athlètes qui y ont participé, et vous constaterez que ce n’est pas exactement leur point de vue. Demandez, par exemple, à Kenteris (ndlr : médaillé d’or sur 200 mètres à Sidney) dans quel genre de chambre il a été hébergé. La cité olympique n’était pas idéale et beaucoup d’athlètes ont été logés dans des constructions préfabriquées à bas prix.
En ce qui concerne nos Jeux, je vois partout des gens qui font de grands efforts pour que tout se passe bien. Le pays s’est transformé en énorme chantier, il se modernise et s’embellit.
Outre-Terre : Vous avez mentionné les performances grecques. Il semble que l’État grec prête plus d’attention, depuis quelques années, au soutien des sportifs et à leur réussite dans la compétition internationale…
V. P. : Il les soutient comme rarement d’autres États dans le monde. Ce qui se justifie par un immense gisement de talents. Des talents qui vont sûrement nous réserver de nombreuses surprises dans l’avenir. Mais ce soutien par l’État est également dû, au moins en partie, au fait que le sport grec n’est sponsorisé que depuis peu. Alors que, dans d’autres pays, les sponsors privés donnent leur appui à de nombreux événements sportifs, en Grèce, c’est l’État qui finançait jusque récemment les besoins de la plupart des athlètes. L’État grec a compris que les sportifs font partie des ambassadeurs d’un pays. Les athlètes qui participent aux compétitions internationales sont tous des représentants importants de leurs pays. Une responsabilité supplémentaires pour eux, car une grande partie du public attend des sportifs de haut niveau qu’ils soient à la hauteur de leurs performances. Ils les perçoivent dans une certaine mesure comme leurs porte-parole, les porte-parole du peuple.
Outre-Terre : La montée en puissance du dopage va-t-elle nuire à la crédibilité des champions et à celle des Jeux Olympiques ? Certains affirment que presque tous se dopent…
V. P. : Le problème du dopage est de fait énorme. Même sans parler des pilules « intelligentes », on va jusqu’à parler d’interventions sur l’ADN des athlètes qui acceptent donc dans certains cas d’être utilisés comme cobayes. Mais il faut dire aussi que ce qui fait la différence, outre le travail physique, c’est une énergie psychique difficile à expliquer, et qu’aucune pilule ou autre méthode n’est en mesure d’améliorer. J’ai personnellement senti, pendant les Jeux d’Atlanta, qu’un « monstre » se réveillait en moi dont j’ignorais l’existence. J’ai alors demandé à des psychologues s’il était possible d’apprendre à réveiller ce monstre à volonté. Réponse évidemment négative. Je n’ai plus jamais ressenti cette force, mais j’espère pouvoir la ressentir à nouveau. Pour conclure sur le dopage, je tiens à souligner que tout dépend de la personnalité de chaque athlète. Pour paraphraser un coach célèbre : impossible d’administrer à un âne des pilules qui le transforment en cheval. Le travail, la patience et la force intérieure de l’athlète feront toujours la différence, et le public le sait.
Outre-Terre : La Grèce déclare qu’elle veut réorienter spirituellement les Jeux Olympiques. Est-il aujourd’hui possible d’atténuer le caractère commercial des Jeux et de promouvoir l’idéal olympique ?
V. P. : Il y a des initiatives comme celle de la trêve olympique qui sont importantes et conformes à l’olympisme. Mais les JO sont un business énorme, un investissement extrêmement coûteux pour les entreprises qui, du coup, essaient d’optimiser leurs bénéfices. Voilà une réalité dont on peut être à peu près sûr qu’elle n’évoluera pas.
Propos recueillis par Yiannis Kanakis
* Valou Patoulidou a depuis été candidate malheureuse à la mairie de Salonique pour la gauche. Ces propos patriotes pourraient difficilement être tenus en France par un représentant de la gauche institutionnelle (souvenez vous de ce qui est arrivé à Chevènement).
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